L’État, l’historien et l’« exigence de vérité »
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Consigne : vous montrerez en quoi ce texte souligne « le lourd passé » de la guerre d’Algérie, le rôle de l’État dans la construction des mémoires et dans le travail de l’historien.
Au nom de cette même exigence de vérité, il est temps d’éclairer mieux les événements d’Algérie. Il nous a fallu d’abord mettre fin à l’hypocrisie des mots : la loi du 18 octobre 1999, à l’initiative de la majorité parlementaire [1] et votée à l’unanimité, est venue qualifier de « guerre » les tragiques événements d’Algérie. En hommage aux soldats tombés au cours de cette guerre, un mémorial national sera édifié en 2002 à Paris. Le nouveau maire de Paris, Bertrand Delanoë, m’a fait connaître son accord sur le choix du site du quai Branly [2]. Celui-ci accueillera donc ce monument où seront inscrits les noms de tous ceux qui sont « morts pour la France » en Afrique du Nord.
La guerre d’Algérie doit pouvoir être, pour les historiens, un objet d’étude. Or, l’accès aux archives est indispensable pour authentifier les faits. C’est pourquoi une circulaire a ouvert aux chercheurs, en 1999, par dérogation, les documents d’archives relatifs aux événements tragiques du 17 octobre 1961 [3]. Par une circulaire publiée aujourd’hui même au Journal officiel, le Gouvernement autorise les historiens à accéder aux archives publiques concernant la guerre d’Algérie. Cette ouverture des archives ouvre la voie à un travail historique de qualité, première et nécessaire étape de la compréhension et de l’acceptation par tous de ce lourd passé.
J’ai souhaité permettre aux chercheurs de faire toute la lumière nécessaire sur cette guerre de décolonisation, qui fut aussi une guerre civile et durant laquelle des atrocités ont été commises de part et d’autre. Aucune victime ne doit être oubliée, ni du côté algérien, ni du côté français. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les massacres dont les harkis ont été victimes.
Ce travail de vérité constitue un ciment puissant pour notre communauté nationale, car il lui permet d’édifier de plus solides fondations pour son avenir. C’est inspirée par le même souci de justice et de transparence que la France a milité activement pour l’instauration et le développement d’une juridiction pénale internationale.
Lionel Jospin, discours d’inauguration de la plaque en hommage à Georges Morin, résistant de la Seconde Guerre mondiale, à l’Hôtel des Invalides de Paris, le 26 avril 2001.
→ http://discours.vie-publique.fr/notices/013001150.html
[1] Les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997 permettent aux PS, PCF, PRG, Verts et MDC de former une coalition parlementaire, dite « majorité plurielle ». En conséquence, le président Jacques Chirac nomme Lionel Jospin comme Premier ministre le 2 juin 1997. Le gouvernement Jospin dure jusqu’au 6 mai 2002 (contexte des présidentielles).
[2] Le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie est un monument au morts se situant sur le quai Branly, juste à côté de la tour Eiffel. Il a été inauguré le 5 décembre 2002 par le président Jacques Chirac, d’où un autre discours. → https://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_Jacques_Chirac_à_l%E2%80%99occasion_de_l%E2%80%99inauguration_du_Mémorial_national_de_la_guerre_d%E2%80%99Algérie_et_des_combats_du_Maroc_et_de_la_Tunisie
[3] Pendant la nuit du 17 au 18 octobre 1961, une manifestation non-autorisée des Algériens indépendantistes à Paris est réprimée par la police, faisant plusieurs dizaines de morts. Le préfet de police était alors Maurice Papon.