Doc. – « À tous ceux qui liront ce livre, salut. »
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Consigne : après avoir présenté l’auteur, vous expliquerez quels sont les risques de son métier et pourquoi il fait de tels remerciements en préface.
• Méthode : l’analyse de document(s)
Robert Estienne, imprimeur du roi [1], à tous ceux qui liront ce livre, salut.
Si le divin Platon a eu raison de dire que le genre humain serait heureux quand les philosophes régneraient, ou quand les rois deviendraient philosophes, il faut s’empresser de proclamer la France réellement heureuse sous un roi tel que François Ier. N’est-ce pas, en effet, une merveille que ses entretiens avec les hommes les plus instruits, dans lesquels, presque toits les jours, après avoir réglé les affaires de l’État, il traité, au grand étonnement de ceux qui l’écoutent, toutes sortes de questions littéraires et scientifiques ? N’est-il pas admirable de voir un roi, forcé de s’occuper des plus graves intérêts, traiter tous les sujets avec une éloquence et une justesse que peuvent à peine égaler les hommes qui ont consacré toute leur vie à l’étude ; de l’entendre proférer cette maxime, digne d’un philosophe accompli, que la règle qu’il doit appliquer a l’exercice de son pouvoir, c’est de faire à la société lotit le bien que, lui permettent les circonstances ?
Aussi son premier soin a-t-il été de choisir, avec une scrupuleuse attention, les maîtres les plus habiles dans les plus belles sciences, et de leur donner des chaires dans cette école si où l’amour de l’étude attire de toutes parts d’innombrables élèves [2].
Les hommes qu’il a trouvés suffisamment instruits, et déjà habitués au maniement des affaires, il les a élevés aux honneurs. D’autres encore ont reçu des présents véritablement dignes de la magnificence royale ; et quant à ceux qui ont voulu rester étrangers à toute instruction, il s’est montré si sévère à leur égard, que ceux surtout qui avaient de la naissance et de la noblesse, et qui regardaient l’étude comme incompatible avec leur condition, s’efforcent maintenant de joindre la culture des lettres à la science des armes.Enfin, il a formé à grands-frais une vaste bibliothèque [3], où il a rassemblé des livres de tout genre, et il ne se passe pas de jour qu’il n’en ajoute de nouveaux. Il a fait venir à grands frais de la Grèce et d’Italie les ouvrages des poëtes et des historiens les plus célèbres de l’antiquité, et il a pris tous les moyens de faire jouir de ses richesses quiconque le désire.
C’est dans ce but qu’il a ordonné aux ouvriers les plus habiles [4] d’exécuter des caractères de forme moderne et élégante. Avec ces caractères, les plus beaux ouvrages, imprimés avec soin et multipliés à l’infini, se répandront dans toutes les mains, et déjà nous en livrons au publie un spécimen en langue grecque.Pour parvenir plus sûrement à nous acquitter, comme nous le devons, de l’office que le roi nous a confié, nous avons pris soin de collationner et comparer les textes de plusieurs anciens manuscrits ; nous avons appelé à notre aide les soins et les lumières des hommes les plus consommés dans ce genre de travail, et particulièrement attachés à notre maison.
Jouissez pleinement, lecteurs, du fruit de nos labeurs, et rendez de justes actions de grâce au meilleur comme au plus libéral des princes, qui vous prodigue ces dons avec tant de sollicitude et de munificence.
Paris, la veille des calendes de juillet 1544.
Robert Estienne, « Épitre dédicatoire », dans Eusèbe de Césarée, Ecclesiasticae historiae, Paris, Robert Estienne, 1544, in-folio. Traduction publiée dans Paul Dupont, Histoire de l’imprimerie, 1853.
ROBERTUS STEPHANUS librarius Regius Sacrarum literarum studiosis S.
O mirificam Regis nostri optimi & praestantissimi principis liberalitatem. Minutiores etiam characteres Graecos, quia defiderari senserat ad libros quanuis magnos in angustum spatium contrahendos, exculpi voluit, prioribus illis, licet omnium pulcherrimis, elegantia pares.
Ô merveilleuse libéralité de notre roi, le meilleur et le plus grand des princes ! Il a vu qu’il manquait à l’imprimerie des caractères grecs de petites dimensions, et il a voulu que l’on en exécutât de nouveaux aussi élégants que les premiers, qui étaient déjà de la plus grande beauté. Grâce à mon titre d’imprimeur royal, ces caractères m’ont été confiés pour le service public. J’ai apporté à cette édition le même soin qu’à tous mes autres ouvrages, et même une attention plus religieuse encore. J’ai revu le texte avec une telle exactitude, que je n’ai pas laissé passer une seule lettre sans qu’elle eût obtenu, pour ainsi dire, la sanction et le témoignage du plus grand nombre de manuscrits.
Robert Estienne, « Adresse aux lecteurs », dans Novum testamentum ex Bibliotheca regia, Paris, Robert Estienne, 1549, p. 3 et 4. BNF, Réserve des livres rares, A 6286, Bis 1.
Le contexte du développement de la Réforme protestante a comme conséquence pour le monde de l’édition plusieurs condamnations pour hérésie devant la Chambre ardente, avec notamment les exécutions de l’avocat Louis de Berquin (1529), du typographe Antoine Augereau (1534), du correcteur Pierre Chapot (juillet 1546) et de l’imprimeur Étienne Dolet (1546), chacun sur un bûcher allumé place Maubert avec des livres saisis chez eux. Robert Estienne fini par s’installer à Genève, d’où il dénonce ses adversaires :
• Robertus Stephanus, Ad censuras theologorum parisiensium, quibus Biblia a Roberto Stephano, typographo regio, excusa calumniose notarunt, ejusdem Roberti Stephani responsio, Oliva R. Stephani, 1552, In-8° , 255 p.
• Robert Estienne, Les Censures des théologiens de Paris, par les quelles ils avoyent faulsement condamné les Bibles imprimées par Robert Estienne, imprimeur du roy, avec la response d’iceluy Robert Estienne, traduictes du latin en françois, Genève, L’Olivier de R. Estienne, 1552, in-8°, 156 p. → https://books.google.fr/books?id=6llJAAAAcAAJ
[1] Être l’imprimeur du roi offre de nombreux avantages, notamment de ne pas payer certains impôts, le privilège d’imprimer les édits royaux, la prérogative sur les autres imprimeurs, etc.
[2] François Ier a fondé en 1530 le Collège des trois langues (trois chaires : pour l’hébreu, le grec et le latin), appelé ensuite le Collège royal, puis le Collège de France.
[3] La bibliothèque royale, alors à Fontainebleau, ancêtre de la Bibliothèque nationale de France, était surtout composée de manuscrits.
[4] L’auteur évoque ici le tailleur et fondeur de caractères typographiques Claude Garamont, créateur des « grecs du roi », une police d’écriture avec une large gamme de ligatures, dont les lettres sont basées sur l’écriture du Crétois Ange Vergèce, ce dernier alors « écrivain en grec » du roi. Estienne lui en a fait commande en 1541 (pour 225 livres tournois) ; il livre la fonte en taille « gros romain » (16 points) en 1543, la « cicero » (9 points) en 1548 et le « gros parangon » (20 points) en 1550. Au total, les trois fontes représentent 1 327 poinçons. Cf. http://www.garamond.culture.fr/