Une guerre thermonucléaire globale ?

Comment exterminer l’Humanité
dimanche 13 novembre 2016
par  Julien Daget

Étape 1 : produire des armes

Il y a plusieurs types d’armes nucléaires ou atomiques (noms utilisés indifféremment).

L’arme nucléaire, ou atomique (A)
Il s’agit d’une réaction nucléaire de fission, en cassant des atomes lourds d’uranium (235U) ou de plutonium (239Pu).
Ce fut la première génération de bombes nucléaires. La première à exploser fut celle du test « Trinity » le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique (33°40’N 106°28’E), avec une puissance de 19 kt [1], suivit par les bombes Little Boy de 15 kt qui rasa Hiroshima le 5 août et Fat Man de 21 kt sur Nagasaki le 9 août 1945.
Les États-Unis l’ont depuis 1945, l’Union soviétique en 1949, le Royaume-Uni 1952, la France 1960, la Chine 1964, l’Inde 1974, le Pakistan 1998 et la Corée du Nord en 2006.

L’arme thermonucléaire (H)
Pour la seconde génération, il s’agit d’une réaction nucléaire de fusion, en unissant des atomes légers de tritium (3H) et de deutérium (2H). Ces gaz sont obtenu en bombardant avec des neutrons le lithium (6Li ou 7Li) contenu dans l’arme, mais pour les faire réagir en fusion il faut les compresser à plusieurs millions de °C, ce qui est obtenu par l’explosion d’une bombe A.
La réaction fission/fusion obtenu produit énormément plus d’énergie qu’une simple fission : La première explosion d’une arme H lors du test « Ivy Mike » le 31 octobre 1952 sur l’atoll d’Eniwetok (11°30’N 162°20’E) dans le Pacifique Sud a été de 10 400 kt, le record étant détenu par les Soviétiques sur l’archipel de la Nouvelle-Zemble (73°32’N 54°42’E) au nord de la Sibérie le 30 octobre 1962 : 58 000 kt (« Tsar Bomba »). Son onde de choc fit trois fois le tour de la Terre (1er tour en 36 h 27).
Il n’y a pas de limite théorique à la puissance des armes H. Les États-Unis l’ont depuis 1952, l’Union soviétique 1953, la France 1968 et la Chine 1967.


Étape 2 : tester que ça marche bien

Test Grable, 25 mai 1953.

Isao Hashimoto, localisation des 2053 explosions nuc’ de 1945 à 1998, 2003.


Étape 3 : choisir un vecteur

Les armes nucléaires peuvent être délivrées par plusieurs vecteurs différents :

  • d’abord chronologiquement parlant sous forme de bombes larguées par des avions ; par exemple celle d’Hiroshima larguée par un B-29 ;
  • des obus atomiques, tirés par un canon pour un usage tactique (furent aussi développés des lance-roquettes à charge nucléaire) ;
  • ensuite des missiles balistiques à courte et moyenne portées, tirés du sol ou des airs (ALCMs, air-lauched cruise missiles), tel que le BGM-109 Tomahawk américain ou le missile Pluton français (1974-1993) ;
  • puis les missiles intercontinentaux (ICBMs, intercontinental ballistic missiles) basés dans des silos enterrés ou sur des véhicules routiers ou ferroviaires ; par exemple les 200 silos de la base américaine de Warren (Francis E. Warren AFB dans le Wyoming) ;
  • des missiles de croisière, plus ou moins rapides et difficiles à intercepter (subsoniques, supersoniques ou hypersoniques) ;
  • des missiles à bord de sous-marins (SSBN, ship submersible ballistic nuclear, portant des SLBMs, submarine-lauched ballistic missiles) ; par exemple un sous-marin de la classe Typhoon russe portait 20 SLBMs à son bord.

NB : un même missile intercontinental contient en général plus d’une ogive nucléaire selon le principe du mirvage (MIRVs, multiple independently targeting re-entry vehicles). Pour reprendre l’exemple du Typhoon russe, chaque SLBM porte dix MIRVs, soit 200 ogives pour le sous-marin, tandis que la base de Warren abrite quelques 950 MIRVs. Chacune de ces ogives peut être programmée pour frapper une cible différente.

Si vous voulez vous limiter à faire un peu de dissuasion, il vous faudra deux ou trois centaines d’armes nucléaires. Si vous envisagez un emploi plus agressif, il en faudra plusieurs milliers. Pensez à le faire savoir :

North Korean Leader Kim Jong Un just stated that the “Nuclear Button is on his desk at all times.”
Will someone from his depleted and food starved regime please inform him that I too have a Nuclear Button,
but it is a much bigger & more powerful one than his, and my Button works !

Donald Trump, Twitter, 2 janvier 2018 [2].


Étape 4 : trouver le moyens de gagner

Un problème se pose : comme plusieurs États disposent d’armes nucléaires, une guerre nucléaire entre eux correspondrait à un échange de frappes, avec théoriquement une « destruction mutuelle assurée » (MAD : Mutual assured destruction). C’est le principe de l’« équilibre de la terreur », fondement de la dissuasion nucléaire : sauf comportement suicidaire, elle garantie un semblant de paix.
Il faut donc trouver le moyen de rompre cet équilibre, ce que les puissances s’efforcent continuellement.

Au début de la guerre froide, les États-Unis menacent l’Union soviétique avec leurs bombes largables par quelques centaines de bombardiers à hélice (B-29 Superfortress puis B-36 Peacemaker), puis l’Union soviétique atteint la parité avec le Tupolev Tu-4.
Une première parade est trouvée avec les chasseurs à réaction, notamment le MiG-15 soviétique et les F-86 Sabre et F-89 Scorpion américains (ce dernier armé avec une roquette nucléaire), d’où le développement de bombardiers à réaction subsoniques (B-47 Stratojet et B-52 Stratofortress) puis supersoniques (B-58 Hustler et B-1 Lancer), presque immédiatement menacés par les nouveaux missiles sol-air (notamment le S-75 Dvina). Les bombes nucléaires deviennent donc périmées dès les années 1950.

La solution trouvée fut le missile. La technologie du missile balistique à courte portée développée par les Allemands en 1944 (le V2 de Wernher von Braun) fut copiée, mais n’offrait pas beaucoup d’intérêt par rapport aux bombardiers. Spoutnik 1 a tout révolutionné en 1957, en montrant la possibilité de faire un tir de missile intercontinental (la R-7 Semiorka), en passant par l’orbite terrestre.
Deux parades furent rapidement trouvées dès la fin des années 1950 : d’une part la destruction avant le lancement, par une frappe aérienne classique, ou par une frappe nucléaire préventive ; d’autre part l’interception en vol par un missile antibalistique (ABM), formant un véritable « bouclier anti-missile ».
Mais des solutions ont été inventées dans les années 1960 : les lanceurs peuvent être protégés dans des silos enterrés et bétonnés, à l’épreuve des attaques ; la vitesse des ogives est augmentée lors de leur rentrée dans l’atmosphère (jusqu’à 25 000 km/h), avec des trajectoires hiératiques ; enfin, chaque missile peut emporter plusieurs ogives nucléaires miniaturisées (MIRV) ou leurres pour saturer les défenses.
Là aussi, le défenseur dispose de nouvelles parades, trouvées à partir des années 1980. Un silo n’est pas indestructible : un coup au but par une arme nucléaire est possible, d’où le développement d’ogives capables d’un tel ciblage (et le déploiement du GPS). La destruction en orbite est une autre possibilité, par des intercepteurs (kill vehicle et hit-to-kill) ou par un tir laser (la SDI annoncée en 1983 était surnommé Star Wars).
Tout n’est pas perdu pour l’attaquant : pour empêcher une interception en vol d’un missile, une solution est d’avoir une trajectoire indétectable, comme celle d’un missile de croisière (dont la courte portée est compensée par le largage d’un bombardier, si possible supersonique et furtif, comme le B-2 Spirit), une trajectoire surbaissée comme celle d’un planeur hypersonique, ou une trajectoire courte comme celle d’un missile SLBM tiré d’un SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins).

Une dernière solution serait une frappe surprise « de décapitation », détruisant le sommet de la chaîne de commandement adverse (Washington, Moscou, Beijing ou Pyongyang), avec un SLBM, un missile de croisière ou une arme à IEM (impulsion électromagnétique).


Étape 5 : faire tout péter

http://www.nuclearsecrecy.com/nukemap/

Ou le jeu Defcon : Everybody dies : http://www.introversion.co.uk/defcon/

À voir : Stanley Kubrick, Dr. Strangelove or : How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, more commonly known as Dr. Strangelove,1964.

Extraits de Dr. Strangelove
trois pages ; CC BY-NC-SA
par Julien Daget.

[1La puissance d’une arme nuc’ s’exprime en utilisant comme unité de mesure l’équivalent de l’explosion d’une quantité de TNT : le kt (mille tonnes, = 1012 cal) ou le Mt (un million de tonnes). Cf. Puissance des armes nucléaires.