L’opération Serval, l’exemple d’une OPEX
par
Opération Serval : un exemple d’OPEX [1]
« Serval » (du nom d’un félin africain) est le nom de l’opération française au Mali pour aider l’Armée malienne à reconquérir le Nord du pays. Cette moitié du pays avait proclamé son indépendance sous le nom d’Azawad, mais les indépendantistes touaregs et peuls (du MNLA) ont été très vite doublés par des djihadistes (Ansar Dine, AQMI et MUJAO). Le 10 janvier 2013, les djihadistes attaquent les troupes maliennes et menacent Bamako : le président malien demande de l’aide auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Une intervention est annoncée par le président français le 11 janvier 2013 au matin.
La mission est de détruire l’adversaire, pas de s’interposer. Dès l’après-midi du 11 janvier, un pilote d’hélicoptère français est mortellement blessé. Les 25 et 27 janvier, Gao et Tombouctou sont prises par les forces françaises ; les djihadistes se réfugient dans les montagnes plus au nord. Les documents ci-dessous évoquent le 19 février 2013, quand une reconnaissance française entre dans l’Adrar des Ifoghas et tombe dans une embuscade.
Document 1 : l’embuscade, vue de l’état-major
Après leur saut sur Tombouctou, les gens du REP [2] ont été rapatriés à Abidjan. Ils sont ensuite revenus à Tombouctou assurer la sécurité de la visite du président de la République avant de sauter à nouveau, mais cette fois tout au nord, sur Tessalit. Ils ont commencé par contrôler les abords de la piste du camp et le village avant de reconnaître à quarante kilomètres de là le débouché de la vallée d’Ametetaï [3], première étape de l’opération de nettoyage de l’Adrar qu’on nous avait demandé de mettre sur pied.
Pour mener à bien l’offensive Panthère 3 dans l’Adrar des Ifoghas, j’avais récupéré des forces, une compagnie qui était restée à Abidjan, une compagnie du REP rentrant du Gabon, qui était en stand-by à Niamey, plus le GTIA 3 du 1er RIMa [4]. À Gao restaient les hommes du 92e RI et une partie des hélicoptères.
Dès le début de cette reconnaissance, le 19 février au matin, les gars trouvent des groupes électrogènes, des munitions, des camions, les premières caches djihadistes. Ils voulaient aller plus loin dans la vallée. Ils étaient accompagnés d’un escadron de chars.
À l’entrée de la vallée de l’Ametetaï, à Aguelhok, il y a un goulot d’étranglement et là, contact. Les commandos parachutistes sont au contact à moins de dix mètres. C’est là que meurt Vormezeele, touché au défaut de son gilet pare-balles. J’étais à Tessalit, mais j’ai su aussitôt par radio qu’on avait perdu un homme. Il a fallu une bonne demi-journée pour sortir les gens du contact, récupérer le corps de ce pauvre Harry, se replier, se mettre en barrage. On a su d’emblée qu’on avait en face de nous des gens déterminés. Il y a eu quarante coups de 105, des tirs explosifs sur les positions [5]. Un Tigre [6] a pris dix-neuf impacts dans la caisse, un autre trois ou quatre.
Xavier Vanden Neste, colonel commandant en second de la brigade parachutiste, envoyé comme chef opérations du GTIA 4 [7].
Document 2 : l’embuscade, vue par un acteur
La deuxième mission, c’est Tessalit. Les forces spéciales [8] ont avancé vers le nord. Elles ont pris Gao, Kidal, une ville proche de l’Adrar des Ifoghas. Elles ont poursuivi leur remontée, sauté sur Tessalit, une ville ennemie, et contrôlé l’aéroport [9]. En même temps, une colonne de véhicules venue du sud arrive à Tessalit. C’est à ce moment qu’on repart d’Abidjan. On saute sur Tessalit et là, la mission, c’est la reconnaissance. […] Il y a des véhicules renforcés par des chars AMX-10 RC, des commandos parachutistes autour des chars, des groupes du génie [10]... […]
Les chars sont arrivés face à un défilé entre deux pans de montagne. Ils ont commencé à s’engager et là, bam ! Contact ! Une embuscade. Personne n’était préparé. C’était des tirs à longue distance, trois cents, quatre cents mètres, PKM, Kalachnikov [11]. Les chars veulent déborder, ils remontent au contact avec l’ennemi, à cent mètres, envoient deux trois pelos [12], mais le terrain, c’était du granite, très difficile à casser, à traverser. Les commandos parachutistes commencent à manœuvrer. Le premier groupe de vingt se met en défense, l’autre monte sur les hauteurs. Riposte. Mais au même moment, putain ! Blessé sur ma position, Vormezeele a été touché. Je demande un appui aérien. La chasse [13] arrive tout de suite. Bam ! Les Tigres entrent en contact, ils avancent. Les unités décrochent parce que le but de l’action, c’était de la reconnaissance, pas d’engager massivement.
Les écoutes identifient à proximité une multitude de liaisons téléphoniques ou radios ennemies, on est ici face à un centre de gravité djihadiste. On n’imaginait pas trouver si vite la menace, on pensait qu’ils étaient plus à l’intérieur de l’Adrar.
Marian-Cristian Mitu, adjudant au 2e REP.
Le ratissage dure jusqu’au 25 mars, marqué par des conditions difficiles (des pointes à 50° C et un terrain rocheux) et des combats intenses (attaques suicides, enfants-soldats, etc.). Les pertes totales françaises furent de cinq morts [14] et 180 blessés (beaucoup d’entorses) ; environ 600 djihadistes furent tués et 280 pris. Depuis août 2014, le dispositif français dans le Sahel s’appelle l’opération Barkhane.
Source : Hubert le Roux et Antoine Sabbagh, Paroles de soldats : les Français en guerre 1983-2015, Tallandier, 2015, p. 326-327 et 341-343.
[1] Une OPEX désigne une opération extérieure, c’est-à-dire une intervention militaire française hors du territoire national.
[2] Le REP ici désigne le 2e régiment étranger de parachutistes, une unité de la Légion étrangère casernée à Calvi.
[3] La vallée de l’Ametettaï fait partie du massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas, dans la partie septentrionale du Mali ; la vallée se situe à l’extrémité nord du massif, avec une orientation est-ouest. Elle est importante car plusieurs puits permettent l’approvisionnement en eau.
[4] Un GTIA est un groupement tactique interarme (composé avec de l’infanterie, quelques véhicules blindés, un peu d’artillerie et des détachements du génie) ; le GTIA 3 a été constitué notamment autour d’unités d’infanterie de marine, avec comme soutien quelques blindés du 1er RIMa, le 1er régiment d’infanterie de marine, d’Angoulême.
[5] Les blindés du 1er RIMa déployés sont des AMX-10 RC, des chars légers sur roues, armés chacun d’un canon de 105 mm (tirant des obus explosifs de 7,2 kg à fragmentation) et de deux mitrailleuses calibre 7,62 mm.
[6] En soutien aérien tactique, le GAM (groupe aérien mixte, détaché du 5e régiment d’hélicoptères de combat de Pau) déployé au Mali disposait notamment de deux Tigre, des hélicoptères d’attaque armés d’un canon de 30 mm et de lance-roquettes.
[7] LE GTIA 4 (ou GTIA TAP) est le groupement parachutiste, formé autour de trois compagnies du 2e REP de Calvi et une du 1er RCP de Pamiers.
[8] Les forces spéciales françaises regroupent la majorité des commandos ainsi qu’un régiment d’hélicoptères.
[9] L’aéroport de Tessalit est pris par les forces spéciales dans la nuit du 7 au 8 février 2013 (opération Takouba).
[10] Le détachement de sapeurs est issu du 17e RGP, le 17e régiment du génie parachutiste, de Montauban.
[11] La PKM est la mitrailleuse Kalachnikov.
[12] Les « pelos » désignent les obus.
[13] Des Mirage 2000D, basés à Bamako.
Commentaires Forum fermé