Doc. – Landing of Columbus
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Consigne : après avoir présenté les documents, votre analyse doit expliquer quelle découverte ils annoncent, ainsi que comment ils insistent sur les différents intérêts, géographique, religieux et économique, que celle-ci recèle.
• Méthode : l’analyse de document(s)
Document 1 – L’atterrage de Colomb
Document 2 – La lettre de Colomb
Lettre de Christophe Colomb auquel notre siècle doit beaucoup, à l’occasion des îles de l’Inde trouvées récemment au-delà du Gange et pour la recherche desquelles il avait été envoyé huit mois auparavant sous les auspices et aux frais de Ferdinand, roi invincible des Espagnes, laquelle lettre a été adressée au magnifique seigneur Raphaël Sauxis, trésorier du dit roi très-sérénissime et que le noble et lettré Aliander de Cosco a traduite de l’espagnol au latin, le 3e des calendes de mai 1493 et la première année du pontificat d’Alexandre VI.
Comme je sais que cela doit vous être agréable, j’ai résolu d’écrire le récit de la conquête, afin que vous connaissiez les détails de notre voyage, de nos exploits et de nos découvertes. Trente-trois jours après avoir quitté Cadix, je suis entré dans la mer des Indes où j’ai trouvé plusieurs îles remplies d’habitants. Après y avoir fait une proclamation solennelle, et y avoir déployé nos drapeaux, j’en ai pris possession au nom de notre roi très-heureux sans que personne ne s’y soit opposé. J’ai donné à la première de ces îles le nom de Saint-Sauveur [San Salvador], en reconnaissance du secours que le Sauveur m’avait fourni, tant pour cette île que pour les autres où nous sommes entrées. Les Indiens appellent cette première Guanahani. J’ai donné aussi à chacune des autres un nouveau nom : à l’une, celle de la conception de Sainte-Marie [Santa Maria de la Conception], à une autre celle de Ferdinanda [Fernandina], à une troisième celle d’Isabella, à une quatrième celui de Johanna [Cuba], et ainsi des autres.
Après avoir débarqué à cette dite île Johanna, je me suis avancé quelque peu sur sa côte occidentale, et l’ai trouvée si grande, qu’il me semblait qu’elle n’avait point de limite. Aussi je ne la considérai pas comme une île, mais comme la province continentale de Chatai [Cathay = Chine]. Cependant je ne vis aucune ville, aucun village situé sur les frontières maritimes, mais seulement quelques chaumières rustiques dont les habitants fuyaient aussitôt qu’ils nous aperçurent ; de sorte que je ne pouvais leur parler. […] De mon côté, j’appris de quelques Indiens que j’avais rencontrés, que cette province était une île ; et en conséquence je me dirigeai vers l’orient en côtoyant toujours le rivage, et m’avançai ainsi à une distance de trois cent vingt-deux milles, c’est-à-dire jusque sur la dernière limite de cette île. Je vis de ce lieu une autre île située à l’orient et à une distance de cinquante-quatre milles de Johanna. Je donnai aussitôt à cette île le nom d’Hespanuola [Hispaniola = Saint-Domingue].
[…] Toutes ces îles en un mot sont très belles, d’un aspect différent, commodes aux voyageurs. [...] Elles sont remplies d’arbres très-variés et s’élevant très haut dans l’espace. Je crois qu’ils ne sont jamais dépouillés de leurs feuilles ; car je les ai vus verts et beaux comme le seraient au mois de mai, en Espagne, les arbres de notre pays. Les uns donnent des fleurs, les autres des fruits, et tous déploient leurs avantages particuliers.
[...] les habitants des deux sexes de cette île, comme ceux des autres îles que j’ai visitées ou dont j’ai entendu parler, sont toujours nus et tels qu’ils sont venus au monde. Quelques femmes cependant couvrent leur nudité d’une feuille ou de quelque feuillage, ou d’un voile de coton qu’elles ont préparé pour cet usage. Tous manquent de fer comme je l’ai dit ; ils manquent aussi d’armes ; elles leur sont inconnues pour ainsi dire ; et d’ailleurs ils ne sont point aptes à en faire usage, non par la difformité de leur corps, car ils sont bien faits, mais parce qu’ils sont timides et craintifs. […] Parmi les habitants de ces îles, aucune différence dans la physionomie, dans les mœurs, dans le langage. Ils se comprennent tous. Cette identité est fort importante pour la réussite du projet de notre roi Sérénissime, qui, je le crois, désire convertir ces populations à la foi chrétienne ; et elles y sont bien disposées, du moins autant que j’ai pu le comprendre. […] Ces populations ne sont point idolâtres ; loin de là, ils croient que toute force, toute puissance, tous les biens se trouvent dans le ciel ; ils croient même que j’en suis descendu avec mes vaisseaux et mes matelots ; et c’est ainsi qu’après avoir banni toute frayeur, nous avons été les bien venus parmi eux.
[...] On m’assure qu’il existe encore une île plus grande que l’Hespanuola, dont les habitants n’ont point de poils, et qu’on y trouve beaucoup plus d’or que dans les autres. Les insulaires de Cuba et les Indiens que j’emmène avec moi confirmeront tout ce que je dis dans cette lettre. Enfin, pour abréger le récit de mes découvertes depuis mon départ et mon retour, je promets à nos rois invincibles, qui m’ont accordé un petit secours, que je leur donnerai autant d’or qu’ils en auront besoin, autant d’aromates qu’ils le désireront, ainsi que du coton et de la gomme, qu’on n’a trouvés seulement que dans la Chine […].
Bien que toute cette expédition soit importante, et presque incroyable, elle eût été bien plus merveilleuse encore, si j’avais eu le nombre de vaisseaux nécessaires. Quoi qu’il en soit, elle tient du prodige et est bien au-dessus de mon mérite, mais elle a été la récompense de notre foi catholique et celle de la piété de nos rois, puisque ce que l’intelligence humaine ne pourrait exécuter, l’intelligence divine le fait en donnant aux hommes une puissance surnaturelle. C’est ainsi que Dieu exauce les vœux de ses serviteurs et de ceux qui observent ses commandements, en les faisant triompher de ce qui semble impossible. C’est ce qui nous est arrivé dans une entre-prise que les forces des mortels n’avaient pu exécuter jusqu’à présent ; car, si quelqu’un a parlé des îles que j’ai visitées, ce n’a été qu’avec doute, d’une manière obscure ; aussi personne n’a encore assuré les avoir vues ’. Aussi ce qu’on avait pu en dire ressemblait à une fable. Que le roi, la reine, les princes, leurs sujets et toute la chrétienté rendent avec moi des actions de grâce à notre sauveur Jésus-Christ, qui nous a favorisés, en nous mettant à même de remporter une victoire si grande, et d’en recueillir les fruits. Que des processions, que des sacrifices solennels soient faits ; que les églises se décorent de feuillages ; que Jésus-Christ tressaille de joie sur la terre comme dans les cieux, puisque tant de peuples, auparavant damnés, vont être sauvés. Réjouissons-nous aussi du triomphe de la foi catholique et de l’accroissement des biens temporels auxquels l’Espagne et toute la chrétienté vont prendre part. Tel est le récit sommaire que je vous adresse. Adieu.
Christophe Colomb,
amiral de la Flotte océaniqueLisbonne, la première des ides de mars
Christophe Colomb (trad. Alfonse Castaing), Epistola Christofori Colom de insulis supra Gangem nuper inventis, 4 mars 1493, dans Lucien de Rosny, Lettre de Christophe Colomb sur la découverte du Nouveau-Monde, Paris, Jules Gay, 1865, 44 p. → https://archive.org/details/colombsurladbe00colurich