Doc. – Un nouvel ordre international ?

« Les conditions de la paix mondiale »
samedi 23 mars 2024
par  Julien Daget

Consigne : en analysant le document et en vous appuyant sur vos connaissances, expliquez en quoi on serait passé à ce que l’auteur qualifie de « tentation d’un ordre mondial autoritaire ».
Méthode : l’étude critique


Leçon inaugurale de la conférence de 2023 en Sorbonne sur les grands enjeux stratégiques contemporains

L’année 2023 s’ouvre avec la perspective d’un conflit long sur le continent européen. Le protagoniste est une puissance nucléaire dont le dirigeant, Vladimir Poutine, est capable de conjuguer le chaud et le froid, ou plus exactement le brûlant et le glacial, et d’entretenir le risque d’une escalade dont le monde pourrait craindre le pire.
Cette guerre, aujourd’hui dans tous les esprits, n’est pas survenue par l’exacerbation soudaine d’une tension entre l’Ukraine et la Russie. Elle s’inscrit dans un processus qui a commencé il y a dix ans et qui trouve en partie son aboutissement aujourd’hui. Ce processus correspond à la volonté de la Russie et de la Chine de changer l’ordre du monde et de faire prévaloir la force sur le droit.
Cette stratégie a été établie par Vladimir Poutine, revenu au Kremlin au printemps 2012, et par Xi Jinping, qui a accédé au secrétariat général du Parti communiste chinois à la fin de cette même année. Elle est fondée sur la conviction partagée par les deux dirigeants que les États-Unis – et plus largement les pays occidentaux – vivent l’apogée de leur rayonnement et sont entrés dans un déclin irréversible, justifiant une révision de la hiérarchie internationale qui prévalait jusque-là. Cette prétention est à leurs yeux justifiés par l’établissement d’un nouveau rapport de forces.
La Chine estime ainsi qu’elle sera la première économie du monde à l’horizon 2050. Pour le centenaire de sa révolution en 2049, elle pense pouvoir disposer d’une avance technologique déterminante dans des domaines aussi clefs que le numérique, le cyber et même le spatial. Moscou et Pékin se sont également lancés depuis une dizaine d’années dans des programmes militaires, qui restent, en termes de stocks d’armements, bien en dessous de l’arsenal américain mais qui représentent, en qualité et en quantité, des sommes considérables que traduit une logique de rattrapage, voire de dépassement pour les équipements les plus sophistiqués. Elles se sont également convaincues du caractère inéluctable de l’effacement américain de la scène internationale. Le refus par Barack Obama d’intervenir en Syrie à l’été 2013 en avait été la première preuve : confirmée par la mollesse de la réaction occidentale au moment de l’annexion de la Crimée et l’occupation d’une partie du Donbass (2014). La débâcle en Afghanistan (2021) avait fait le reste ! […]
La Chine et la Russie en ont conclu, qu’après la longue période qui s’était ouverte avec l’effondrement du mur de Berlin et l’accélération de la globalisation – qu’elles avaient vécus, l’une comme l’autre, comme une phase de discrétion, de soumission et d’humiliation –, le temps était venu pour ces deux grandes puissances de passer à l’offensive. À cet égard, 2012 est une année charnière. Depuis lors, en effet, Vladimir Poutine et Xi Jinping se sont rencontrés quarante fois – y compris pendant la crise sanitaire, les deux dirigeants étant pourtant réputés s’être totalement isolés pendant cette période. Au-delà de la fréquence de ces échanges, Poutine et Xi ont entendu nouer une amitié qu’ils décrivent comme « éternelle et infinie ». Ce pacte ne s’est jamais fissuré : ni sur la Syrie, ni sur l’Iran et pas davantage sur la Corée du Nord. Il a tenu bon sur l’Ukraine par toutes sortes de coopérations économiques, commerciales, énergétiques et militaires… Sa traduction est explicite : la Russie est aujourd’hui le deuxième fournisseur de pétrole de la Chine et son principal pourvoyeur d’armement. Les deux pays mènent des exercices conjoints, des manœuvres navales comme des patrouilles aériennes.
Toutefois, cette relation va au-delà de l’affirmation d’intérêts communs. Poutine et Xi partagent les mêmes détestations : celle de l’Occident, qu’ils veulent affaiblir et refouler là où il prétend agir, et celle de la démocratie, qui mène, selon eux, à la décadence et à la désagrégation des nations. […]

François Hollande, « Les conditions de la paix mondiale », Revue Défense nationale, Paris, Comité d’étude de défense nationale, n° 861, juin 2023, p. 9-16. → https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2023-6-page-9.htm


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