Doc. – Guerre & paix avec Napoléon
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Consigne – En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, répondez à la question suivante : la série des guerres napoléoniennes était-elle une fatalité ?
Document 1
Dans la conversation suivante, qu’il eut avec un de ses conseillers d’État, le Premier Consul exprima son opinion sur la paix :
LE PREMIER CONSUL – Eh bien, citoyen ....., que pensez-vous de ma paix avec l’Angleterre ?
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Je pense, citoyen Consul, qu’elle fait beaucoup d’honneur à votre gouvernement, et beaucoup de plaisir aux Français.
LE PREMIER CONSUL – Pensez-vous qu’elle dure long-temps ?
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Je désirerais bien qu’elle durât au moins quatre ou cinq ans pour nous donner le temps de relever notre marine ; mais je doute fort qu’elle ait cette durée.
LE PREMIER CONSUL – Je ne le crois pas non plus : l’Angleterre nous craint, les puissances continentales ne nous aiment pas. Comment, avec cela, espérer une paix solide ! Du reste, pensez-vous qu’une paix de cinq ans ou plus convînt à la forme et aux circonstances de notre gouvernement ?
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Je pense que ce repos conviendrait fort à la France après dix ans de guerre.
LE PREMIER CONSUL – Vous ne me comprenez pas : je ne mets pas en question si une paix franche et solide est un bienfait pour un État bien assis ; mais je demande si le nôtre l’est assez pour n’avoir pas encore besoin de victoires ?
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Je n’ai pas assez réfléchi sur une question aussi grave pour y répondre catégoriquement : tout ce que je puis dire, ou plutôt ce que je sens, c’est qu’un État qui ne saurait se consolider que par la guerre est dans une situation bien malheureuse.
LE PREMIER CONSUL – Le plus grand malheur serait de ne pas bien juger sa position, car on y pourvoit quand on la connaît. Or, répondez-moi ; croyez-vous à l’inimitié persévérante de ces gouvernements qui viennent pourtant de signer la paix ?
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Il me serait bien difficile de ne pas y croire.
LE PREMIER CONSUL – Eh bien, tirez la conséquence ! Si ces gouvernements ont toujours la guerre in petto, s’ils doivent la renouveler un jour, il vaut mieux que ce soit plus tôt que plus tard ; car chaque jour affaiblit en eux l’impression de leurs dernières défaites, et tend à diminuer chez nous le prestige de nos dernières victoires ; tout l’avantage est donc de leur côté.
LE CONSEILLER D’ÉTAT – Mais, citoyen Consul, comptez-vous pour rien le parti que vous pouvez tirer de la paix pour l’organisation de l’intérieur ?
LE PREMIER CONSUL – J’allais y venir. Certainement cette grande considération n’échappe point à ma pensée, et j’ai prouvé, même au milieu de la guerre, que je ne négligeais pas ce qui concerne les institutions et le bon ordre dans l’intérieur ; je n’en resterai pas là ; il y a encore beaucoup à faire ; mais des succès militaires ne sont-ils plus nécessaires pour éblouir et contenir cet intérieur ? Songez bien qu’un premier consul ne ressemble pas à ces rois par la grâce de Dieu qui regardent leurs États comme un héritage. Leur pouvoir a pour auxiliaires les vieilles habitudes. Chez nous au contraire, ces vieilles habitudes sont des obstacles. Le gouvernement français d’aujourd’hui ne ressemble à rien de ce qui l’entoure. Haï de ses voisins, obligé de contenir dans l’intérieur plusieurs classes de malveillants, pour imposer à tant d’ennemis, il a besoin d’actions d’éclat et par conséquent de la guerre.
Antoine Claire Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, 1799 à 1804, par un ancien conseiller d’État, Paris, Ponthieu, 1827, p. 389-392.
→ https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9660110n/f405.item
Document 2
La bataille d’Austerlitz passe pour l’archétype de la bataille décisive. Or, à bien y regarder, elle ne l’est pas réellement. Elle a bien permis de démêler une situation qui allait s’avérer inextricable. Sans elle, la possibilité du renforcement des coalisés par la Prusse et du regroupement de l’ensemble des forces autrichiennes et russes en peu de jours est plus que plausible. Gagnée, elle évite une fin rapide pour l’Empire qui en sort renforcé. Mais ce n’est qu’un moment dans le conflit qui oppose la France au Royaume-Uni. L’armée russe quitte le théâtre des opérations mais ce n’est pas la paix. L’Autriche est affaiblie mais ne fait qu’attendre des jours meilleurs comme le prouve les événements de 1809. Les alliés allemands et le royaume d’Italie voient leur position affermie après la campagne de 1805, mais leur existence dépend de la puissance française. Austerlitz a permis de conjurer une menace mais n’a en rien mené à une solution politique durable du conflit. Cette bataille peut être considérée comme décisive sur les plans tactiques et opératifs. Mais, en tant qu’objet stratégique et politique, elle ne l’a pas été car elle n’a rien réglé.
Patrick Bouhet, « Austerlitz en sa campagne », Guerres et armées napoléoniennes : nouveaux regards, Paris, Nouveau Monde éditions, 2020, p. 101.