Doc. – Appel à la croisade

1095, Urbain II à Clermont
samedi 23 octobre 2021
par  Julien Daget

Consigne : après avoir présenté le document, vous montrerez comment est justifié cet appel et quelles promesses sont faites. L’analyse du document constitue le cœur de votre travail, mais nécessite pour être menée la mobilisation de vos connaissances.
Méthode : l’analyse de document(s)


Homélie d’Urbain II à la fin du concile de Clermont, le 27 novembre 1095

Ô fils de Dieu ! Après avoir promis à Dieu de maintenir la paix dans votre pays et d’aider fidèlement l’Église à conserver ses droits, et en tenant cette promesse plus vigoureusement que d’ordinaire, vous qui venez de profiter de la correction que Dieu vous envoie, vous allez pouvoir recevoir votre récompense en appliquant votre vaillance à une autre tâche. C’est une affaire qui concerne Dieu et qui vous regarde vous-mêmes, et qui s’est révélée tout récemment [1]. Il importe que, sans tarder, vous vous portiez au secours de vos frères qui habitent les pays d’Orient et qui déjà bien souvent ont réclamé votre aide.

En effet, comme la plupart d’entre vous le savent déjà, un peuple venu de Perse, les Turcs, a envahi leur pays. Ils se sont avancés jusqu’à la mer Méditerranée et plus précisément jusqu’à ce qu’on appelle le bras Saint-Georges [2]. Dans le pays de Romanie [3], ils s’étendent continuellement au détriment des terres des chrétiens, après avoir vaincu ceux-ci à sept reprises en leur faisant la guerre. Beaucoup sont tombés sous leurs coups ; beaucoup ont été réduits en esclavage. Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu.

Si vous demeuriez encore quelque temps sans rien faire, les fidèles de Dieu seraient encore plus largement victimes de cette invasion. Aussi je vous exhorte et je vous supplie – et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même – vous, les hérauts du Christ [4], à persuader à tous, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, chevaliers ou piétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici, je le mande à ceux qui sont absents : le Christ l’ordonne.

À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée. Et je l’accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu de l’autorité que je tiens de Dieu.

Quelle honte, si un peuple aussi méprisé, aussi dégradé, esclave des démons, l’emportait sur la nation qui s’adonne au culte de Dieu et qui s’honore du nom de chrétienne ! Quels reproches le Seigneur Lui-même vous adresserait si vous ne trouviez pas d’hommes qui soient dignes, comme vous, du nom de chrétiens !

Qu’ils aillent donc au combat contre les Infidèles – un combat qui vaut d’être engagé et qui mérite de s’achever en victoire –, ceux-là qui jusqu’ici s’adonnaient à des guerres privées et abusives, au grand dam des fidèles ! Qu’ils soient désormais des chevaliers du Christ, ceux-là qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils luttent maintenant, à bon droit, contre les barbares, ceux-là qui se battaient contre leurs frères et leurs parents ! Ce sont les récompenses éternelles qu’ils vont gagner, ceux qui se faisaient mercenaires pour quelques misérables sous. Ils travailleront pour un double honneur, ceux-là qui se fatiguaient au détriment de leur corps et de leur âme. Ils étaient ici tristes et pauvres ; ils seront là-bas joyeux et riches. Ici, ils étaient les ennemis du Seigneur ; là-bas, ils seront ses amis !

Fulcherii Carnotensis [Foucher de Chartres], Historia Hierosolymitana, début du XIIe siècle, chapitre III, « Item exhortatio ipsius de itinere Iherosolymitano », republié dans Recueil des historiens des croisades, tome 3, historiens occidentaux, Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 323-324. → https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k51573t/f392


[1Une ambassade de l’empereur byzantin Alexis Ier Comnèse s’est présentée au concile de Plaisance en mars 1095, pour renforcer les relations avec l’Église romaine et recruter des mercenaires. L’Empire a perdu l’Anatole face aux Seldjoukides suite à sa défaite de Manzikert en 1071. Jérusalem a été prise par les mêmes Seldjoukides au califat fatimide en 1073.

[2Le « bras Saint-Georges » correspond au détroit du Bosphore, bordant Constantinople (aujourd’hui Istanbul).

[3« Romanie » : le nom officiel de l’Empire byzantin est l’Empire romain (d’Orient).

[4Les « hérauts du Christ » désignent la centaine d’évêques et les abbés français réunis ici en concile.


Documents joints

Appel à la croisade par Urbain II