Doc. – Roland et la fuite du roi
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Consigne : en analysant le document, vous montrerez pourquoi l’épisode de la fuite du roi à Varennes constitue un tournant dans la Révolution.
L’analyse du document constitue le cœur de votre travail, mais nécessite pour être menée la mobilisation de vos connaissances.
• Méthode : l’analyse de document(s)
24 juin 1791 – de Paris
[...] On ramène Louis XVI, sa femme, ses enfants et sa sœur. Que doit-on faire d’un roi parjure, qui renonce et trahit ses engagements, viole le contrat dont il tenait son pouvoir, réclame hautement contre les clauses de la transaction, et fuit parmi les ennemis de sa nation pour revenir combattre et subjuguer le même peuple qui lui avait assuré le trône ? Tel est l’important problème qui se présente et qu’il faut résoudre avant l’arrivée de Louis XVI, puisque cette solution doit prescrire la manière de le recevoir et de le traiter. Louis XVI est en route, accompagné de quinze à vingt mille gardes nationales, et, demain matin, il sera dans nos murs.
Monsieur [1] et sa femme sont à Mons ; l’Empereur [2] s’y est rendu ; on s’agite extrêmement sur les frontières, et quels que soient le zèle et la foule de nos gardes nationales, les préparatifs et les munitions nous manquent, ainsi que l’habitude de la discipline, et des chefs habiles et sûrs. Le pays est ouvert et sans défense du côté de la Flandre ; on peut, par les Ardennes, arriver jusqu’à peu de distance de la capitale […].
Hier, dans tous les groupes du Palais-Royal et de la ville, régnaient un même esprit et un même langage : profond mépris pour la personne du Roi, embarras de son retour, dont on est bien aise parce qu’il rompt les mesures d’un traître et semble éloigner la guerre qui allait commencer, mais qui dérange les idées républicaines auxquelles on commençait à se livrer ; désir de se passer de roi, peu de vues sur la manière d’y parvenir, mélange de confiance dans l’Assemblée, d’attente que ses mesures seront excessivement modérées ; sorte de résignation d’y souscrire, qui décèle le défaut des lumières, car l’énergie ne manque point, mais l’espoir des moyens d’arriver au but. Dans l’après-midi, une foule de députations et des détachements de bataillons, tous les tribunaux, etc., ont été solennellement à l’Assemblée prêter le nouveau serment de fidélité à la Nation et la Loi seulement ; mais, ce qui a été bien plus frappant, tout le faubourg Saint-Antoine s’y est porté, au nombre de je ne sais combien de mille âmes ; les hommes, armés de piques, de bâtons ; les femmes, avec un air de fête : tous défilant en bon ordre, rangés sur six de front, et occupant ainsi depuis la rue du faubourg jusqu’aux Tuileries, la musique nationale à leur tête ; entrés dans l’Assemblée, par parties, ils y ont tous juré à leur manière d’être fidèles à la nation ; ils y ont crié « Vive la loi ! Vive la liberté ! F... du Roi ! Vivent les bons députés ! Que les autres prennent garde à eux !… » Et la musique de jouer Ça ira, et les gens de chanter le refrain, en envoyant au diable le Roi et les aristocrates. […] Cependant le lâche Comité de constitution, le perfide Thouret [3], présentent un projet de décret contenant quelques mesures d’après « l’enlèvement » du Roi, pour assurer la tranquillité de sa personne jusqu’à sa réunion au Corps législatif : prononçant des peines contre ceux qui oseraient l’insulter, etc. […] Heureusement Robespierre rentrait dans la salle ; il s’élève avec son énergie ordinaire, on l’arrête, et l’on suspend l’Assemblée pour quelques heures. […]
Lettre de Madame Roland à Bancal [4], publiée dans Claude Perroud, Lettres de Madame Roland, tome 2 : 1788-1793, Paris, Imprimerie nationale, 1902, lettre 435, p. 308-310. → https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3202393c/f334.item
[1] Monsieur désigne ici le frère du roi, Louis-Stanislas de France, alors comte de Provence et futur Louis XVIII.
[2] Léopold II était alors l’empereur du Saint-Empire romain germanique, mais aussi l’archiduc d’Autriche, le roi de Hongrie et de Bohême, le duc de Milan et de Brabant (où se trouve Mons), etc.
[3] Jacques-Guillaume Thouret était député de Rouen, membre des Girondins. Il est resté prudent sur les causes du départ du roi et sa responsabilité, pour ne pas remettre en question la Constitution qui n’est adoptée que le 3 septembre 1791.
[4] Jean Henri Bancal des Issarts était proche des Girondins, il présidait alors la Société des Amis de la Constitution à Clermont-Ferrand. Il fut élu député du Puy-de-Dôme en septembre 1792.