1953 – Conseils aux jeunes professeurs

Texte écrit entre 1946 et 1953 par Henri Daget, directeur du collège technique de Boulogne-sur-Mer
jeudi 23 mai 2019
par  Julien Daget

Conseils aux jeunes professeurs
14 pages ;
par Henri Daget

– AVANT-PROPOS –

Le petit nombre de pages de cet article fera qu’on ne prendra jamais l’ensemble pour ce qu’il n’est pas et ne veut pas être. Ce n’est pas en effet un manuel de pédagogie pratique, et on cherchera en vain une citation ou une référence à une autorité quelconque ; quand bien même l’ampleur du développement lui eut permis, l’auteur se serait abstenu de recourir à cet étalage d’érudition facile et factice. Ce n’est pas non plus un libelle satirique ; si les conseils qu’il s’applique à donner aux jeunes professeurs sont le fruit des observations personnelles de l’auteur, celui-ci s’est gardé toujours du malin plaisir de citer faits, incidents ou scènes dont il a tiré la leçon ; il s’agit pour lui d’essayer d’être utile, non d’amuser.
On ne peut, quand on a le goût des choses de l’enseignement, ne pas être frappé de la singulière ignorance de leur métier dans laquelle débutent en général nos jeunes maîtres, frais émoulus de l’École normale ou des Facultés, parés de leurs titres de licenciés, de certifiés et d’agrégés ; il est encore plus pénible de constater que parfois cette ignorance s’accompagne d’une dangereuse suffisance et d’indocilité aux moindres suggestions : comme si le savoir ou la culture n’était pas une chose, et le métier de professeur une autre ! Ce métier, comme tout métier, suppose un apprentissage que tout professeur devrait faire en son temps, au lieu de l’aborder trop tard et au préjudice peut-être de plusieurs générations d’élèves ; car il ne viendra à l’esprit de personne d’accorder la moindre valeur formative au stage pédagogique actuellement imposé aux candidats à l’agrégation et, d’autre part, de la formation des jeunes licenciés à leur tâche professionnelle il n’a jamais été question.
C’est à dessein que trois fois déjà au cours des lignes précédentes le mot métier s’est présenté au bout de notre plume, car c’est un métier de faire une classe comme de faire un mur ou une pièce détachée, or à observer de près le tourneur à son banc, ou le maçon à son mur, on va de surprise en surprise et on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, la parfaite connaissance qu’ont ces ouvriers de l’emploi de leurs outils et de leurs matériaux, l’adroite sûreté avec laquelle ils mènent à bien leur tâche, l’exigence qu’ils montrent à l’égard d’eux-mêmes, aimant le travail bien fait et poussé jusqu’au fignolage. Que de classes dont la difficulté a échappé à leur légèreté ou à leur ignorance professionnelle, où les erreurs de métier pullulent dont la stérilité éclate à d’autres yeux qu’aux leurs.
Il serait sot de penser que la lecture des quelques pages qui vont suivre tiendra lieu aux jeunes professeurs de nos lycées et collèges de ces exercices quotidiens de pédagogie appliquée auxquels sont soumis les élèves-maîtresses de nos écoles normales d’instituteurs et institutrices ; puissent seulement nos jeunes licenciés et agrégés, tant qu’ils resteront livrés à l’improvisation, trouver ici des conseils, des observations, des incitations leur permettant, s’ils veulent y prêter attention, de n’avoir pas l’air trop novices devant leurs premiers élèves !

I
Le choix du métier

Que nos jeunes-gens (et nos jeunes-filles) ne se lancent qu’après mûre réflexion à la conquête des grades et titres universitaires dont ils se prévaudront ensuite pour demander à exercer des fonctions d’enseignement dans un établissement d’État ou privé. Pour s’acquitter honorablement de telles fonctions, ils auront à posséder et à cultiver certaines qualités intellectuelles et morales ; ils doivent savoir à l’avance quelles obligations professionnelles ils auront à s’imposer, avec lesquelles il conviendra de transiger d’autant moins qu’ils relèveront, dans l’exercice de leurs fonctions, autant et plus de l’approbation de leur propre conscience que du contrôle nécessairement passager, superficiel et difficile de leurs chefs. La fonction de professeur est telle que, remplie sans la conscience la plus éclairée et la plus scrupuleuse, elle avilie l’homme.
Et d’abord, que le jeune-homme ne croie pas, en s’engageant dans la carrière de l’enseignement, pouvoir s’embusquer dans la profession avec le propos délibéré de s’y adonner à loisir à quelque passion, si distinguée soit-elle, des livres ou de la musique. Le Professorat exigera de lui sans doute qu’il aime le commerce des livres et ne soit pas étranger aux arts ; mais encore doit-il savoir que beaucoup de ses lectures et de ses recherches lui seront commandées par son enseignement et imposées par l’intérêt de ses élèves : nul, certes, ne songera à l’empêcher jamais de battre à ses heures de loisir tous les buissons qu’il voudra ; mais qu’il voie bien d’abord autour de lui si d’autres carrières n’existent pas, plus propres à lui assurer, même en plus grand nombre, ces chères heures de liberté et de possession de soi-même ; l’école n’a rien à gagner à se faire avec ses jeudis, ses petits congés et ses longues vacances, le paradis des dilettantes.
Le goût de la recherche scientifique peut, mieux que le goût du vagabondage à travers les livres et les arts, déterminer une carrière de professeur ; il est dans tous les cas de bien meilleur aloi. Rien de plus courant que de voir un jeune professeur, dès ses débuts dans l’enseignement, s’atteler à la préparation d’une thèse de doctorat, à de rares exceptions près, tous nos maîtres de nos facultés des Sciences et des Lettres ont été d’abord titulaires de chaires dans nos lycées et nos collèges. Mais on ne saurait trop conseiller au futur docteur de demander, avant ses débuts dans les fonctions d’enseignement, quelque bourse de recherche ou son admission à quelque institut, de façon qu’il se consacre tout entier, une ou plusieurs années, à son travail de documentation ; car un tel travail lui sera à peu près impraticable, si ses fonctions de professeur l’appellent, comme il est vraisemblable, dans quelque établissement éloigné des grandes bibliothèques. Surtout, un tel travail n’est pas aisément compatible avec celui qu’exige d’un débutant la préparation consciencieuse de sa classe. Au cas toutefois, qu’il faut bien admettre, où le jeune professeur serait obligé d’occuper une chaire avant ce travail de documentation, qu’il sache au moins s’imposer comme règle stricte de consacrer ses seuls loisirs à la préparation de sa thèse et qu’il n’ait pas la naïveté de penser que ses recherches personnelles lui seront de quelque utilité dans l’exercice de sa fonction ; il aura là deux activités à mener de front, en les maintenant bien séparées l’une de l’autre : l’érudition acquise au jour le jour dans un petit canton du domaine scientifique est une chose, et une toute autre chose est l’art de donner un enseignement de culture dans une classe de lycée ou de collège.
On ne saurait supposer que le goût de l’argent pousse jamais un jeune-homme vers la carrière de l’enseignement. S’il en était autrement, il pourrait être vite déçu en voyant autour de lui ses camarades de la veille, qu’il surclassait toujours au lycée ou au collège, avoir dans des activités d’un autre ordre peut-être plus facilement accessibles, un train de vie, en apparence au moins, fort supérieur au sien. Non pas qu’il s’agisse de décourager une vocation de professeur par de seules considérations d’ordre alimentaire qu’on entend parfois traduites dans des expressions d’une vulgaire inexactitude ; qu’il suffise de prévenir nos jeunes-gens à la recherche d’une position sociale qu’ils voient ailleurs que dans l’enseignement, si la soif des richesses les possède.
Jeunes professeurs de demain, si vous êtes résolus à en accepter toutes les obligations et à les remplir avec cœur, vous avez choisi le beau métier. Il consiste non seulement à révéler peu à peu à de jeunes élèves le monde des phénomènes ou des idées et à lire dans leurs yeux la joie de découvrir, de comprendre et de sentir, mais encore à leur apprendre à observer, à penser, à conduire leur raisonnement avec ordre et sûreté, à leur donner ainsi confiance en eux-mêmes, à leur inspirer le goût de l’effort intellectuel et le désir de faire jouer tous les ressorts de leur esprit, à promouvoir joyeusement toutes leurs facultés encore endormies dans l’ignorance des premières heures, à allumer en chacun d’eux la petite flamme intérieure qui, en fin de compte, est le tout de l’homme.

II
La tenue et le langage des professeurs

Un professeur a besoin de jouir d’un certain prestige auprès de ses élèves, ou plus simplement, avoir de l’autorité. Or l’autorité, qu’il en soit bien sûr, ne lui viendra pas seulement de son savoir, de l’intérêt de son enseignement ou de ses aptitudes pédagogiques, mais dépendra encore pour une part de la correction de sa tenue, de ses manières et de son langage. En croyant, par exemple, trouver un accent d’originalité dans le négligé de sa tenue et marquer dans son désordre ou sa bizarrerie vestimentaire, son mépris du conformisme, un professeur s’emploie lui-même à se diminuer aux yeux de ses élèves, au lieu de chercher à leur offrir de sa propre personne un modèle de tout. Car il faut que le maître arrive par tous les moyens à se faire considérer par ses élèves sur un plan supérieur au leur, à une distance d’eux que rien jamais ne rapetisse ; il doit leur inspirer le respect avant tout autre sentiment et ne jamais fournir en rien matière à leur moquerie.
Qu’il se présente donc chaque jour devant ses élèves la barbe faîte, les cheveux en ordre, la cravate point trop ficelle et correctement nouée, la chaussure cirée, que son vêtement soit sans tache, que toutes les averses de la semaine ne restent pas inscrites sur le bas de son pantalon : assez du genre étudiant débraillé ou du pensionnaire de la veille plaçant sa coquetterie dans l’absence de tenus, car on a facilement l’âme de son costume. En somme, que le professeur ait la tenue de l’honnête homme qui n’attire par rien l’attention sur lui, à la faveur même de sa correction.
Que le jeune maître ne vienne pas non plus faire sa classe sans une serviette sous le bras ou à la main, même si elle est vide ; les élèves doivent toujours avoir l’impression qu’on a préparé quelque chose pour eux et qu’on leur apporte. Le professeur ne doit pas arriver les mains dans les poches et sortir de l’armoire de sa classe ou du tiroir de sa chaire les livres qui lui sont nécessaires ; il se peut qu’il en possède un double jeu et qu’il ait préparé son travail chez lui : l’effet est néanmoins désastreux. L’effet est pire encore, si le maître emprunte son livre à un élève. Encore une fois, il faut que les élèves voient que leur professeur a pensé à eux avant de paraître en leur présence ; il obtiendra tout d’eux à condition de ne pas sembler les compter pour rien.
Que le maître enfin se surveille dans ses gestes comme dans sa tenue, il n’est pas désirable qu’il arrive devant ses élèves en lisant son journal, ni qu’il attende d’être sur le seuil de sa classe pour jeter son bout de cigarette ou vider sa pipe ; ce sont là des gestes déplaisants, des marques de négligence. Il faut n’avoir aucun laisser-aller en présence de ses élèves, et encore une fois leur offrir dans sa personne déjà un modèle de correction.
Le professeur peut par son langage autant que par sa tenue nuire à son propre prestige. Qu’il soit d’abord en garde contre l’emploi abusif de ces mots ou expressions parasites, comme « n’est-ce-pas » ou « comprenez-vous » qui, traduisant à l’origine son désir de tenir en éveil l’auditoire, finissent par envahir tout son discours. Rien de plus désagréable, ni de plus lassant pour les élèves que ce genre de déformation professionnelle. Si l’un de ceux-ci s’avise de solliciter une demande d’explication, que le maître ne commence pas sa réponse par un « ben » prolongé comme par un point d’orgue ; ou encore qu’il n’ait pas une dilection trop exclusive pour le mot « chose » qui peut arriver dans sa bouche, pour l’amusement des élèves, à prendre à tout instant la place du mot précis.
D’une façon générale, le professeur doit user d’un langage correct, châtié, aussi éloigné de la sécheresse que de la prolixité, bien articulé ; là aussi, il doit donner l’exemple pour exiger à son tour de ses élèves qu’ils s’expriment eux-mêmes correctement. « Qu’est-ce-que-c’est » est une de ces formules de l’interrogation déjà moins heureuse que « qu’est-ce-que » ; mais de grâce qu’elle ne devienne pas dans la bouche du maître l’affreux « Ké-ksé-que » qu’on entend parfois. Est-il besoin de dire que les termes d’argot, les expressions d’une vogue éphémère ne doivent pas être employés devant les élèves ? Enfin, le professeur est de sa province et il est possible qu’il use de certains termes locaux, d’expressions et de constructions propres à son terroir, qu’il en fasse le plus tôt possible le dénombrement pour en perdre peu à peu l’usage.
En outre, on ne saurait trop recommander au professeur de ne pas être trop familier dans sa façon de parler aux élèves ; car l’essentiel est, répétons-le, que la distance demeure toujours bien respectée, qui sépare ceux-ci de celui-là. Il n’est d’ailleurs pas sûr que l’élève goûte cette familiarité, car aimant plutôt être traité comme une personne sérieuse, il est sensible aux formes du langage dont on use à son adresse. Aussi y a-t-il lieu d’éviter le tutoiement, bien que l’usage s’en soit répandu ces dernières années, semble-t-il, du fait du développement de scoutisme et à la faveur du mouvement des camps et des colonies de vacances où il est de règle que les chefs, souvent des professeurs, tutoient leurs garçons, autant que possible ; que le professeur dépouille dans sa classe le chef de camp ou de troupe qu’il est les jours de congé, qu’il emploie toujours le « vous » de politesse en s’adressant à un élève de quelque âge qu’il soit, sans toutefois faire précéder son nom du mot « Monsieur », facilement ironique et déplaisant.
Le vocabulaire des observations, remontrances et semonces, ne doit pas trop se ressentir de l’état de colère, d’impatience ou d’indignation dans lequel le maître peut avoir été mis ; celui-ci ne saurait sans vulgarité se laisser aller à traiter un élève de crétin, d’imbécile ou d’idiot ; ces termes blessants froissent l’enfant, l’irritent sourdement et peuvent même le pousser à réagir de façon telle qu’un incident disciplinaire surgisse, dont le maître sera au fond le vrai responsable. Une erreur de jugement, un vice de raisonnement, un défaut d’attention, une étourderie appellent une rectification exprimée dans un langage d’une calme précision : une leçon non sue, un devoir bâclé exigent du maître une observation d’une concise et correcte sévérité.
Faut-il ajouter que, s’adressant aux élèves, le professeur doit savoir, selon les besoins, mouvoir sa voix entre plusieurs registres, mais s’interdire toujours les cris et les éclats bruyants ? Rien ne lasse vite l’attention d’une classe ni ne fait froncer de fatigue les sourcils de son auditoire comme un maître qui ne peut donner la moindre explication sans être entendu de la rue ou de la cour.

III
Une qualité maîtresse

C’est l’exactitude. Le professeur doit se montrer exact à s’acquitter toujours au moment voulu, à l’heure prévue, dans les délais fixés, de chacune de ses charges professionnelles. À cette condition seulement il pourra exiger de ses élèves, la même qualité ; là encore, il doit prêcher l’exemple.
Le professeur doit arriver à l’heure devant sa salle de classe, c’est-à-dire une ou deux minutes avant le signal de la rentrée ; il peut ainsi donner un premier coup d’œil sur ses élèves dont il trouve la division alignée à la porte de la salle et il la fait rentrer lui-même. Il aura calculé une fois pour toutes le temps précis qui lui est nécessaire pour se rendre de son domicile à son lycée ou à son collège, il veillera en particulier à ne pas perdre de temps, dans le seul trajet de la conciergerie de l’établissement à la porte de sa classe, à d’interminables bavardages avec ses collègues. Qu’il éprouve un sentiment de confusion salutaire qui le garde longtemps de la récidive si, arrivant un jour à grandes enjambées après l’heure sonnée, il aperçoit de loin au fond de la cour déjà déserte, toutes les autres classes rentrées, sa division alignée plutôt mal que bien, que l’attente commence à rendre effervescente.
Évidemment un professeur n’est jamais à l’abri d’un accident de santé imprévu qui, sans nécessiter un congé prolongé le retiendra chez lui une demi-journée, voire une journée, mais qu’il ait bien soin de prévenir ou de faire prévenir tout de suite de son absence son chef d’établissement par les voies les plus rapides (si possible le téléphone) de façon qu’on règle vite le sort de ses élèves.
Mais est-il besoin de dire que de telles absences doivent être exceptionnelles et qu’elles ne sauraient être justifiées par une insomnie un peu prolongée, une mauvaise digestion, une légère migraine ou deux dixièmes de fièvre ? L’expérience montre que le personnel masculin est moins dur à la souffrance, plus douillet que le personnel féminin et que ces absences de courte durée sont bien plus fréquentes chez les professeurs hommes que chez les professeurs femmes ; que nos jeunes-gens s’entraînent donc à être exigeants pour eux-mêmes.
Le souci de l’exactitude chez un professeur ne se marque pas seulement à la ponctualité avec laquelle il se présente à l’heure dite devant ses élèves ; il se traduit aussi dans la façon stricte avec laquelle il suit le tableau de travail de sa classe et le tableau des compositions, dont il dresse la liste des élèves absents, dont il assiste à toutes les réunions des conseils de classe auxquels il est convoqué, dont il s’acquitte de l’établissement des notes et des bulletins mensuels ou trimestriels de ses élèves, dont il répond dans les délais prévus et avec toute la précision désirable aux demandes de renseignements de toutes sortes que lui adressent son administration ou les familles, etc., etc.
En bref, le professeur doit mettre un point d’honneur à ne vouloir pas être pris en défaut, à ne pas laisser croire de lui qu’il est oublieux, désordonné, inorganisé, sans méthode, et qu’il pense à son métier aux heures seules ou il est devant ses élèves.
Si sa mémoire est courte, qu’il use d’un agenda ; qu’il ne pense pas donner jamais une marque de sa supériorité intellectuelle ou de sa nature d’artiste en ne faisant rien en son temps de sa tâche professionnelle.

IV
La préparation de la classe

Quelles que soient son ancienneté de services et sa spécialité, sa science et son expérience, un professeur ne se présente jamais devant ses élèves sans avoir soigneusement préparé sa classe ; il a besoin d’accorder cette satisfaction à sa conscience professionnelle et il se rend compte d’ailleurs que c’est aussi une nécessité.
Il sait, en entrant dans sa classe, ce qu’il va dire, faire dire et faire faire à ses élèves, pourquoi il leur proposera tel genre d’exercice de préférence à tel autre, de même qu’il sait la place exacte que tient la matière de chacune de ses heures d’enseignement dans l’ensemble des heures de l’année, parce qu’il a établi dès avant la rentrée d’octobre un programme de travail qu’il suit avec rigueur. Une classe ne saurait s’improviser ; qu’elle dure une heure ou deux heures, elle doit former avec ses différents moments (interrogation, exposé magistral, correction de devoir ou exercice oral) un tout complet partant bien composé, dont il faut avoir arrêté d’avance toutes les articulations. Rien de plus fâcheux en particulier pour les élèves et de plus condamnable qu’une classe qui ne finit pas dans le temps donné, dont on reprendra deux, ou trois, ou même huit jours plus tard une queue de problème ou d’explication de texte. Un tel défaut trahit une insuffisance de mise au point préalable, autrement dit un manque de préparation.
Il peut d’ailleurs être utile à son prestige que le professeur réduise le plus possible la marge d’improvisation, surtout dans les classes un peu élevées ; nul ne saurait être à l’abri d’une défaillance de sa mémoire, chacun surtout peut se heurter à une difficulté imprévue qu’il soit incapable de résoudre séance tenante (calcul mathématique, sens d’une phrase, résultat d’une expérience, etc.). Il est rare que l’embarras du professeur échappe aux élèves et le tour de passe-passe à l’aide duquel il croit se tirer d’affaire les amuse tout en nuisant à son crédit.
Cependant il ne saurait être question d’inciter nos jeunes professeurs à pousser la préparation de chaque classe à une limite telle que tout, jusqu’à l’expression elle-même, en soit méticuleusement prévu. Car une préparation trop poussée comporte aussi son danger : le professeur risque alors d’opposer un barrage aux apports de ses élèves, de ne pas solliciter de façon suffisante leur participation au travail en commun ni de prêter une oreille attentive à leurs réponses, préoccupé de dire lui-même tout ce qu’il a prévu de dire et comme il a décidé de le dire. Conséquence en apparence seulement paradoxale : une classe peut être froide et manquer de vie pour avoir été trop préparée.
Ainsi le bon professeur est celui qui, tout en ayant préparé sa classe, sait solliciter avec assez de souplesse l’activité des élèves pour accueillir leurs réponses et, quand elles sont satisfaisantes, en faire état en les intégrant dans son propre exposé. Il importe donc qu’il ait laissé à celui-ci une certaine plasticité, au lieu de lui avoir donné d’avance une composition et une expression d’une rigidité définitive. D’ailleurs le professeur se rendra compte bien vite que jamais ses classes ne peuvent être préparées une fois pour toutes ; on constate dans la même classe des différences telles entre les élèves qui s’y succèdent d’année en année qu’un travail d’adaptation toujours renouvelé s’impose au maître. Et lui-même enfin, à mesure que s’enrichît son expérience professionnelle et qu’il se renouvelle par ses lectures, par ses observations et par ses réflexions, il répugne à exposer toujours de la même façon la même question, à faire du même texte la même explication. Ce renouvellement incessant de son propre fond est d’un prix inestimable, il le garde de l’affreuse routine, il lui laisse toujours intact le goût de son métier. Un professeur qui ne prépare plus sa classe est un professeur non pas désormais maître de son métier, mais fossilisé.
Bien préparée, une classe demande à être faîte avec aisance sinon avec virtuosité. Si donc le maître veut s’imposer à ses élèves par sa science et son talent, autrement dit encore se soucier de son prestige, il ne fera pas, de sa serviette sur sa chaire, le déballage de tous les instruments de sa préparation, livres, cahiers, fiches, etc. se reportant ensuite d’un air affairé des uns aux autres comme s’il risquait à tout instant de rester court. Il doit avoir la coquetterie de se servir seulement du livre que tous ses élèves ont entre leurs mains, pour que ceux-ci ne s’imaginent pas qu’il tire devant eux d’un livre différent du leur toute la matière de son enseignement. Fait-il ajouter que le professeur doit avoir assez de pudeur pour ne pas user devant les élèves du « livre du maître » correspondant à leur propre livre ? Les livres d’exercices particuliers à chaque classe se sont multipliés depuis trente ou quarante ans et l’usage s’en est généralisé pour de nombreuses raisons ; mais est-ce à dire qu’un tel usage soit sans inconvénient ? De tels livres réduisent beaucoup l’initiative du professeur qui ne sait plus ou ne peut plus donner des exercices bien adaptés au degré de force de chaque classe ; on ne peut que regretter le temps où un maître repérait lui-même, au cours de ses lectures, un texte de version latine ou de version grecque, voire un texte de dictée.

V
L’interrogation

L’interrogation est, au sens large du mot, un procédé pédagogique d’un emploi incessant auquel le maître a recours d’un bout à l’autre de l’heure de classe et dans toute discipline ; mais nous n’entendons nous servir ici de ce terme que pour désigner le contrôle par lequel le professeur, durant un temps bien délimité de la séance de classe, s’assure que la leçon donnée a été apprise ; le terme de récitation désigne plus particulièrement le contrôle des leçons de textes de langue française, de langues vivantes ou de langues mortes, parfois même de leçons de grammaire ou de vocabulaire. On fait réciter Les Pauvres Gens ou Le Roi des aulnes, on interroge en histoire ou en mathématiques.
À ce propos on n’insistera jamais trop auprès des jeunes maîtres qu’ils ne négligent pas les exercices de mémoire ; après avoir été pendant des temps séculaires seuls en l’honneur dans l’enseignement, ces exercices connaissent un injuste discrédit depuis que des pédagogues de laboratoire ont déclaré qu’on ne devait rien apprendre aux enfants cela seul qu’ils comprennent. On ne leur apprend plus rien, et dans tous les cas, ils ne savent plus rien. Donc, que tout le long de leurs classes, tant qu’ils ont des mémoires neuves et souples, les élèves apprennent par cœur tout ce qui peut s’apprendre et d’abord, jusqu’à la fin de leur année de première, de beaux textes qu’ils auront toujours plaisir à se redire à eux-mêmes parce qu’ils leur réjouiront l’oreille, l’esprit et le cœur, puis, tout aussi longtemps, des leçons de grammaire et de vocabulaire, de l’avant comme à rebours, à fil et à contrefil, moyennant quoi ils donneront moins devant leurs examinateurs au baccalauréat qui leur proposeront une page de Démosthène, de Tite-Live ou de Montaigne ; bien plus, des principes, des lois, des définitions, des formules, des règles, des dates, des données de toutes sortes, foule de matériaux emmagasinés sans peine par de jeunes mémoires, sur lesquels un peu plus développée, l’intelligence reviendra sans peine, en temps utile, pour juger, comparer, classer, induire ou déduire, organiser. S’est-on jamais plaint d’une mémoire trop meublée ?
Qu’il s’agisse donc d’interrogation ou de récitation, l’exercice doit toujours être dirigé par le professeur et n’avoir rien de mécanique. Tout d’abord, précaution capitale et trop rarement prise, le maître doit veiller que, pendant toute la durée de l’exercice, tous les livres et cahiers restent rigoureusement fermés sur les tables ; rien ne décèle plus l’insuffisance ou l’inexpérience pédagogique d’un maître que le spectacle d’une classe où, pendant que l’un d’eux récite sa leçon, chacun des autres élèves s’abandonnent à la fantaisie ; les meilleurs, qui savent leurs leçons et sont parés à tout contrôle, trouvant l’exercice fastidieux, feuillettent leurs livres distraitement, en regardant les images, griffonnent des dessins ou bavardent tandis que les pires, redoutant l’interrogation qu’ils n’ont pas préparée, se hâtent d’en apprendre quelques bribes, le nez sur leur page. La classe n’est pas tenue, le dialogue entre le maître et l’élève interrogé se déroule dans l’indifférence générale, sinon dans le brouhaha. Au contraire, l’exercice est bien mené quand, maintenus dans une attitude correcte, les bras croisés ou les mains sur les tables, tous les élèves sont obligés de suivre l’interrogation ; le maître s’assure d’autant mieux de l’attention générale qu’il sait, dans le temps donné, interroger le plus d’élèves possible, attribuant rapidement une bonne note aux bonnes réponses, une mauvaise aux mauvaises, s’évertuer en particulier à faire ânonner et balbutier un élève qui manifestement n’a pas préparé son interrogation constitue une perte de temps et un préjudice pour toute la classe. Ainsi donc, au maître de veiller que l’interrogation, au lieu de traîner, soit prestement conduite.
Les réponses aux questions posées devront toujours être exprimées dans des phrases correctes et complètes, le maître ne doit pas tolérer que l’élève réponde par un simple mot à une question qu’il a lui-même formulée d’une façon explicite ; en se contentant de réponses informes, le maître non seulement ne secoue pas la paresse d’esprit de l’élève, mais lui laisse contracter une habitude d’indifférence à la présentation qui ne manquera pas de se manifester plus gravement dans les travaux écrits.
Dernière recommandation à nos jeunes professeurs : que rien ne soit l’objet d’une récitation ou d’une interrogation qui n’ai fait au préalable l’objet d’une explication ou d’un exposé du maître : un texte de langue vivante ou morte ne doit être appris qu’après avoir été d’abord préparé et analysé en classe : la guerre de Trente Ans ou la dentition des carnassiers avant de devenir matières à interrogations auront d’abord été présentées aux élèves par le maître, et l’exposé de ces questions aura d’abord été illustré de cartes, d’images, de schémas, de projections. Le déchiffrage d’une question ne peut et de doit pas être demandé aux élèves de nos collègues.

VI
Les travaux écrits

Quand on parle de travaux écrits, on pense tout de suite aux devoirs que les élèves établissent sur ces fameuses copies dont l’obligation de la correction est présentée par nombre de professeurs comme la dure rançon des avantages ou des agréments de leur métier. Que ne disent-ils que ce métier serait le plus beau de tous, si les élèves n’existaient pas ?
Et tout d’abord, le professeur veillera dès le début de l’année à établir de façon rigoureuse la périodicité des devoirs ; la plupart de ceux-ci sont hebdomadaires ; seules, dans les grandes classes, la dissertation philosophique et la composition française peuvent être des exercices de quinzaine. Une bonne habitude à prendre, c’est qu’à classe fixe dans chaque discipline, le maître donne un sujet de devoir pour la même classe de la semaine suivante, rendent un devoir corrigé aux élèves qui eux-mêmes lui en remettent un ; à cette condition un tableau du travail des élèves à l’étude ou à la maison pourra être dressé, dont l’observance stricte les gardera autant de la hâte fébrile et funeste à s’acquitter de tâches multiples et imprévues dans des délais trop limités que du dangereux désœuvrement des heures creuses ou mal meublées. Un tel tableau sera évidemment établi par entente de tous les professeurs d’une même classe, dont chacun devra savoir accommoder ses exigences personnelles à l’intérêt du groupe. Que chaque professeur reste ensuite fidèle tout le long de l’année à cette organisation pré-établie et se garde par oubli ou négligence, d’y faire des accrocs. S’il a omis le jour voulu de donner un sujet de devoir pour la semaine suivante, et qu’il s’aperçoive trois ou quatre jours plus tard de son omission (bien entendu, les élèves auront observé eux-mêmes un silence intéressé) qu’il soit beau joueur et saute le tour… en se promettant de ne pas recommencer, au lieu de faire de ses élèves les victimes responsables de sa propre étourderie et d’exiger d’eux au jour habituel un devoir dont il aura donné le sujet in extremis.
Les sujets de devoirs, nous l’avons dit ailleurs, doivent être adaptés avec soin au niveau réel des élèves et non tirés sans discernement d’un recueil d’exercices à l’usage de leur classe : la classe standard ou passe-partout n’existe pas et le bon professeur met, dans toutes les disciplines, sa marque personnelle aux exercices proposés à ses élèves. Il faut d’autre part, prendre garde que les devoirs ne soient inutilement longs et ne se réduisent trop à une pure besogne d’écriture causant à l’élève fatigue et dégoût. À quoi bon lui donner dix phrases d’application de la même règle, si l’enfant au bout de quatre en a compris le mécanisme ? Que de fastidieuse écrivasserie imposée aux élèves dans les réponses à ces multiples questions de langue et de style qui font suite aux exercices d’orthographe ! On pourra et on devra être d’autant plus exigeant, lors de la correction du devoir, qu’on l’aura choisi court, aisé à faire dans les limites de temps prévues.
Car tous ces devoirs doivent être corrigés, et soigneusement corrigés, la tâche n’ayant plus rien de surhumain depuis qu’a été peu à peu fixée la limite maximale de l’effectif de nos classes. Ils doivent être corrigés à l’encre de couleur et non au crayon bleu, dont l’écriture trop lâche et trop grosse, souvent peu lisible, impose l’usage d’annotations sommaires et rares donnant l’impression du négligé et du vite fait. Toute copie corrigée doit comprendre en tête une note chiffrée et une observation générale, si succincte soit-elle, ainsi que des annotations marginales ; celles-ci doivent être très brèves, mais précises donnant la nature de la faute de préférence à la forme rectifiée ; c’est l’élève qui, sa copie en main, lors de correction collective en classe, redressera lui-même son erreur ; d’où l’habitude que fera bien de prendre le professeur de remettre souvent aux élèves, avant la correction collective, leurs copies corrigées. Mais il ne s’agit pas pour le maître, répétons-le bien, de couvrir les marges des copies d’observations que les élèves liront d’autant moins qu’elles seront plus nombreuses et plus longues ; comme les fautes dans un même genre d’exercice reviennent toujours les mêmes, le professeur conviendra avec les élèves dès le début de l’année d’une abréviation pour l’indication de chacune d’elles et leur donnera une fois pour toute la liste de ces abréviations ; il constatera, à la faveur de cette précaution, une notable simplification de sa besogne.
Soyons très exigeants sur la présentation matérielle des copies ; nos élèves de toutes classes font des fautes d’orthographe à foison, les plus âgés souvent plus que les jeunes ; ils ont des écritures détestables ou illisibles ; ils se moquent de l’accentuation et de la ponctuation, ils ne savent pas comment on coupe un mot à la fin d’une ligne pour le compléter à la suivante. Si les causes du mal ne sont pas difficiles à discerner, encore n’est-on pas sûr que les professeurs eux-mêmes ne sont pas un peu responsables ; trop nombreux sont ceux qui ferment les yeux sur de telles négligences ou qui naturellement ne les voient pas ou n’en sont pas choqués. Obliger un enfant à écrire lisiblement, à ponctuer correctement, à aller à la ligne quand il convient, à tirer des traits droits et propres, bref se refuser à accepter de lui une copie qui soit un torchon, c’est déjà lui imposer le goût de l’ordre et créer en lui, qu’il le veuille ou non, un besoin de clarté, de netteté extérieure qui, à la longue, pourra devenir un besoin de son esprit de voir clair en lui-même et dans ses idées.
Mais les devoirs sur copies ne sont pas les seuls travaux écrits des élèves, ils ont encore des cahiers de textes, de préparation, de cours, toutes pièces innommables, mal écrites, incomplètes, et telles parce que le professeur ne les voit à peu près jamais.
Son devoir est au contraire d’en suivre la tenue, d’en contrôler fréquemment la mise à jour : travail relativement aisé s’il s’agit pour lui de passer de temps en temps entre les tables et de jeter un coup d’œil rapide sur les uns ou sur les autres de ces documents ; l’élève apportera d’autant plus d’attention à cette partie de sa tâche, qu’il sentira toujours exposée à un contrôle inopiné. À de rares exceptions près, l’enfant se contente du travail vite fait, partant mal fait : à nous de l’entretenir sur le qui-vive en lui montrant que nous n’ignorons et ne négligeons rien de ses obligations scolaires ; sa formation intellectuelle et même morale est à ce prix.

VII
Les spécialités

S’il y a des règles de pédagogie générale valant pour toutes les disciplines, chaque spécialité a aussi sa pédagogie particulière, dont chaque spécialiste doit être au courant. Il dispose à ce sujet de plusieurs qualités d’information, surtout s’il appartient à l’enseignement public.
Il doit d’abord connaître les instructions ministérielles, ou, plus exactement, les instructions de l’Inspection générale sur l’enseignement de sa discipline, que l’établissement auquel il est affecté lui communiquera, ou, bien plutôt, qu’il se procurera lui-même auprès de certains éditeurs. Car connaître ces instructions, ce n’est pas les avoir lues en diagonale, d’un œil rapide et d’un air entendu la semaine de son entrée en fonctions, mais les avoir analysées avec soin, les avoir confrontées avec les premières intuitions ou les premières données de son expérience professionnelle, avoir pressenti ou discerné ce que certaines observations consignées par ces textes, certaines formules particulièrement heureuses, supposent de compétence ou méritent de confiance. Il y a, en effet, certaines de ces instructions qui dans leur genre, sont de petits chefs-d’œuvre de finesse dans l’analyse et de précision dans la forme ; car le jeune professeur aura intérêt à ne pas se contenter de lire les instructions accompagnant le plan d’études actuellement en vigueur ; qu’il consulte aussi celles qui accompagnaient les plans antérieurs, à partir de 1902 par exemple ; les programmes ont changé au fil du temps, au gré des hommes et selon les vicissitudes de la vie politique, mais beaucoup moins les principes pédagogiques, voire les méthodes, quoi qu’en pensent les nouveaux découvreurs de l’Amérique, et depuis longtemps les choses excellentes ont été dites ; excellemment sur chaque discipline que nos jeunes maîtres doivent connaître.
Chaque maître doit aussi adhérer au groupement professionnel de sa spécialité qui, en général, publie un bulletin périodique où les questions intéressant la pédagogie de cette spécialité tiennent une large place. De tels groupements, aidés d’ailleurs par l’autorité académique elle-même, organisent souvent des stages d’information auxquels le jeune professeur, dans toute la mesure du possible, fera bien d’assister.
Enfin, il ne manquera pas de suivre, même de solliciter les conseils de ses inspecteurs généraux, dont il aura en principe une fois l’an la visite ; il usera aussi de l’expérience de ses chefs plus directs, de son conseiller pédagogique (d’institution récente) enfin de ses collègues chevronnés de la même spécialité. L’essentiel est qu’il ne croit pas posséder la maîtrise de son métier parce qu’il possède les grades et titres l’habilitant à l’exercer.

VIII
La leçon particulière

Il est difficile, pour deux raisons, de dissuader un professeur de donner des leçons particulières. D’abord, la leçon peut constituer pour lui un avantage matériel auquel il ne saurait rester indifférent ; d’autre part, la leçon particulière peut être profitable voire nécessaire à un élève. Il n’est que de faire preuve en cette affaire de doigté et de discernement.
Que le professeur se méfie bien des parents d’enfants gâtés qui lui demanderont dès les premiers jours de donner des leçons à leurs fils sans autre pensée de se concilier à ce prix son indulgence et de désarmer d’avance sa sévérité à l’égard de la faiblesse et de la paresse. Que le jeune maître en soit prévenu sans qu’il soit besoin de lui souligner ce qu’il peut perdre en se laissant ainsi circonvenir.
En général, la leçon particulière est pour le professeur une occupation pénible et ingrate, dont il doit s’acquitter seulement s’il est sûr de rendre service à l’élève, c’est-à-dire dans des cas bien déterminés. La leçon, en effet, peut être momentanément utile, soit à un élève qui, tenu éloigné assez longtemps de la classe en raison de santé ou autre, a besoin d’être remis au courant ; soit à celui qui, à l’approche d’un examen ou d’un programme, ou entraîné de façon un peu plus intense à ses prochaines épreuves, soit enfin à l’enfant qui, tout en étant suffisamment doué et appliqué, ne semble pas se tirer d’embarras tout seul, faute de savoir-faire et de méthode. Ce dernier cas et de beaucoup le plus fréquent dans nos classes ; aussi appartiendra-t-il au jeune professeur de bien veiller à ce que la leçon donnée ne soit jamais pour l’élève un nouveau travail qui s’ajoute encore à son travail de classe, dont il s’acquitte déjà difficilement, elle devra au contraire lui alléger sa tâche ordinaire, dans la mesure où le maître lui apprendra comment on l’aborde et la mène à bien, au cours de cette séance supplémentaire qu’on pourrait appeler de travail dirigé, selon une expression qui a disparu de notre vocabulaire pédagogique avec l’institution presque mort-née qu’elle désignait. C’est seulement comprise ainsi que la leçon particulière pourra être utile à l’élève, à condition encore que l’aide ainsi assurée ne lui devienne pas une habitude et qu’on la lui supprime le plus vite possible. Autrement dit, la leçon particulière est pour l’enfant une sorte de traitement exceptionnel appliqué durant une période de temps limitée dont il convient de ne pas faire son régime normal.
Si le professeur est appelé à donner des leçons particulières à plusieurs élèves de la même classe, il aura intérêt à les réunir en un petit groupe, où réapparaîtra un peu de la vie et de l’émulation de la classe ordinaire, cela lui sera moins fastidieux qu’un long tête-à-tête avec un élève isolé, mais en ce cas, il devra s’enquérir au préalable auprès de son administration du nombre maximum d’élèves qu’il peut ainsi grouper.
Quant au taux de rémunération de la leçon particulière, il peut varier d’une ville à l’autre, d’un établissement à l’autre, et aussi avec la classe de l’élève. Il varie encore selon que la leçon s’adresse à un élève isolé, ou à plusieurs simultanément. Le jeune professeur veillera à s’informer auprès de ses collègues des usages locaux, mais il se gardera de donner des leçons à un tarif inférieur au taux généralement admis, sauf dans le cas exceptionnel où il s’agit de rendre service à un enfant méritant dont la famille ne peut en aucune façon s’imposer des dépenses supplémentaires pour son instruction ; dans ce cas, nous conseillons au professeur de s’occuper gratuitement de l’enfant et de faire accepter son geste aux parents avec tout le tact désirable. Quant au règlement des honoraires, que ce soit une affaire entre le maître et les familles, à laquelle les enfants restent tout à fait étrangers, et aussi l’administration même en cas de contestation toujours possible entre les parties. Un texte officiel existe bien, aux termes duquel l’établissement doit exiger une redevance pour frais de chauffage et d’éclairage des professeurs qui donnent des leçons particulières dans les locaux scolaires ; en fait, ce texte est resté lettre morte.
En résumé, il est tout à fait normal qu’un professeur accepte de donner des leçons particulières, qu’il prenne seulement garde de ne pas répondre sans discernement à toutes les sollicitations des parents ; bien entendu, qu’il veille à ne jamais paraître lui-même un solliciteur et qu’on ne le soupçonne pas de suggérer aux parents l’idée de faire prendre des leçons à leurs enfants ; enfin qu’il sache bien qu’il y a une pédagogie de la leçon particulière, que de telles leçons bien conduites peuvent être utiles à l’enfant, lui donner une méthode, lui apprendre à dominer son travail et à lui rendre la confiance en soi. Un professeur ne met jamais sa dignité en péril quand, tout en s’assurant un avantage matériel, il reste préoccupé de l’intérêt de ses élèves.

IX
La discipline

Il n’est pas de professeur si informé, si savant soit-il, dont l’enseignement puisse donner des fruits, si l’autorité qu’il exerce sur ses élèves est insuffisante ; serait-il personnellement de la plus grande valeur morale et animé des meilleures intentions, un professeur, s’il manque de discipline, risque d’une part, de n’être pas respecté de ses élèves, et en outre, de leur faire perdre gravement leur temps ; poussée à l’extrême limité, cette carence peut lui valoir toute une vie d’humiliations et de vexations, comme aussi de complications ou d’ennuis d’ordre administratif. Aussi, serait-il désirable que tout jeune professeur, se voyant dès ses toutes premières années à tenir sa classe et gravement désemparé dans cette partie de sa tâche, ait assez de bon sens et de décision pour chercher résolument une autre orientation à son activité. Espérons au demeurant que ces cas limites resteront toujours rares.
Aussi est-il malaisé de discerner et de révéler le secret de l’autorité, c’est, semble-t-il une affaire de comportement individuel, d’ascendant personnel, la preuve, c’est qu’on arrive jamais à renflouer par des secours extérieurs, du moins à partir d’un certain moment, une autorité en détresse, on ne remet pas en selle un maître désarçonné. Aussi, jeunes professeurs qui, dès vos débuts, sentez votre classe qui vous obéit et qui vous suit, appréciez votre avantage, vous avez le don de l’autorité, mais un don qui ne vous confère sans doute aucun mérite et dont il convient de ne pas s’enorgueillir, car vous seriez peut-être aussi embarrassés que quiconque pour la ressaisir, si votre classe, docile à l’accoutumée, venait tout à coup à regimber et à secouer votre joug, mais quoi qu’il en soit, ce don, vous l’avez et il est d’un prix inestimable.
Sans revenir sur ce qui a été dit au cours de pages précédentes, le professeur devra évidemment veiller il ne présenter aucune singularité ni dans sa personne, ni dans sa tenue, ni dans son langage, ni dans ses manières, ni même dans son genre de vie, qui risque de ridiculiser aux yeux des élèves, de provoquer leurs rires ou d’exciter leur malignité amusée ; car on dit et on ne redira jamais trop des élèves qu’ils sont d’impitoyables observateurs, à qui rien n’échappe. Qui ne les a vus aller jusqu’à se moquer de l’infirmité ou de la difformité d’un maître ? Mais il est aussi vrai que tel maître infirme ou difforme, jouit dans sa classe d’une autorité incontestable à faire envie à maint collègue mieux doué physiquement et cependant dépourvu d’ascendant.
En outre, le professeur fera bien de suivre toujours très strictement le tableau de travail de sa classe, en donnant à ses élèves, des heures d’enseignement bien pleines, en évitant tout temps mort propice à l’agitation et au désordre, mais l’observance d’une telle règle ne saurait non plus suffire à garantir infailliblement au professeur une atmosphère de silence et d’ordre.
Dans tous les cas, ce qu’il importe bien, c’est que l’autorité n’implique nullement la sévérité, du moins cette mauvaise forme de la sévérité qui se traduit par le recours incessant aux punitions. C’est un fait d’observation courante que dans nos établissements, les principaux pourvoyeurs des séances de retenue sont les professeurs dont l’autorité est la plus fragile et que les maîtres qui s’imposent à leurs élèves ne font que peu usage des punitions. Le professeur dont l’autorité est bien établie a vraiment sa classe en main ; il parle, on l’écoute ; il sollicite les réponses de ses élèves, elles jaillissent ou veulent jaillir de tous côtés ; chacun le suit des yeux, est attentif à son geste, répond son appel, le maître juge-t-il que l’effort demandé est suffisant, que la détente de son auditoire s’impose ? Il amuse un instant ses élèves par un mot plaisant, par une anecdote, les rires fusent, on s’ébroue un peu, mais un certain regard du professeur, un geste de la main et le calme renaît, l’attention revient, le travail reprend ; durant toute la séance, il n’aura été question ni de punitions, ni de discipline. Au contraire, la classe d’un professeur sans autorité n’est qu’un long duel entre ses élèves et lui ; tous s’agitent sur leurs sièges, certains sont debout, plusieurs élèvent la voix simultanément, le maître crie un peu plus fort, menace, enrage, distribue des retenues à la ronde, tombe immanquablement sur un innocent, aggrave le désordre. Comment ne pas le plaindre d’avoir à s’acquitter durant des lustres et des décades d’un tel métier ? Car rien ni personne ne lui donnera l’autorité qui lui manque.
Il ne s’agit pas cependant de laisser croire au jeune professeur qu’il doit s’interdire de recourir aux punitions ; il doit en user seulement à bon escient, de façon qu’elles produisent à point nommé leur effet. Les écarts de notre jeunesse scolaire sont si nombreux, et tels, que les remontrances, l’appel à la raison ou à l’amour-propre peuvent ne pas suffire à remettre un élève fautif dans la bonne voie ; il faut sévir et on sévira avec d’autant plus de rigueur que le coupable aura été averti une ou plusieurs fois déjà.
La gamme des punitions est assez riche, le maître verra à choisir parmi elle ; mais qu’entre toutes il se défie de la retenue, qui est la honte de nos établissements masculins. Il n’est pas CONCEVABLE qu’on oblige un enfant à venir à son lycée ou son collège un jour de congé, dans une salle dangereusement bourrée de condisciples de toutes classes condamnés au même sort, pour qu’il y fasse ou plutôt qu’il y bâcle durant une heure ou deux un travail que personne ne lira jamais ; car cette tâche n’est le plus souvent que de pure besogne matérielle, vide d’intérêt (trois derniers problèmes ou deux dernières versions à refaire) propre à donner la nausée à l’enfant et lui faire perdre le goût et le plaisir de l’étude à lui enlever à jamais, si du moins il l’a, l’amour du travail bien fait. Si le maître estime devoir recourir à la retenue, qu’il laisse au moins à l’enfant la faculté de s’acquitter d’une tâche libre ou de mettre à jour son travail de classe, qu’il lui offre même l’occasion de faire une bonne séance de lecture personnelle, nos élèves lisant peu, plutôt que de le condamner à expédier un inqualifiable pensum.
Que le professeur enfin ne s’avise pas d’user d’une forme de punition réglementaire, qui lui vaudra des démêlés avec l’administration ou les familles ; qu’il se garde bien d’administrer jamais à un élève la taloche pour laquelle les parents lui ont donné délégation dans toutes les circonstances où l’enfant l’aura méritée ; infailliblement, l’occasion où le maître aura cru devoir pouvoir user de cette latitude sera mal choisie et la famille regimbera. Qu’il ne mette pas non plus un élève à la porte de sa classe debout dans le courant d’air d’une galerie ou exposé à la tentation d’une fugue ou de tout autre polissonnerie à conséquences graves dont le maître sera tenu pour responsable : l’exclusion de la classe est une peine prévue, mais dans des formes déterminées que, s’il ne les connaît pas, le maître demandera à son administration.
Somme toute, ne cessons de le répéter, que le professeur n’use de son droit de punir qu’exceptionnellement. S’il aime ses élèves et s’il est aimé d’eux, ou du moins estimé et respecté, s’il s’impose par sa personne et par la méthodique régularité d’un enseignement intéressant, assuré avec autorité, il y a gros à parier qu’il ne viendra jamais à l’esprit de ces jeunes auditeurs qu’ils puissent se permettre un manquement grave à son égard. Le problème de la discipline n’existe pas pour un bon professeur.

X
Le professeur et son lycée ou collège

Le professeur n’aurait pas encore entièrement satisfait à ses obligations quand bien même il se serait acquitté de toutes les parties de sa tâche de la façon dont nous l’avons jusqu’ici conseillé. Il est encore de son devoir de s’intéresser à la maison à laquelle il appartient, de se rendre compte de la manière dont y vivent ses élèves, de voir s’il existe un esprit de cette maison, de s’enquérir de la réputation dont elle jouit dans le milieu environnant, de s’informer de son passé, de ses succès, de ses grands souvenirs ; bref, il est désirable que le professeur ne soit pas seulement un fonctionnaire facilement interchangeable, appelé à assurer de façon presque impersonnelle un service d’enseignement aujourd’hui ici, là demain, au gré de ses intérêts, ou des besoins de l’autorité supérieure, mais un homme cherchant à s’intégrer de toute sa sympathie dans un collectivité à laquelle il entend donner, pendant le temps long ou court qu’il lui appartiendra le meilleur de lui-même, de son cœur comme de son esprit.
Il y a gros à parier que le professeur débutant ne sait rien de l’organisation administrative et financière d’un lycée ou d’un collège ou que ce qu’il en croit savoir est fait d’erreurs ou d’inexactitudes ; il fera donc bien de se renseigner tout de suite sur cette question soit auprès de ses collègues du Conseil d’administration ou du Conseil intérieur, soit auprès de son chef d’établissement et de ses collaborateurs ; il trouvera ces fonctionnaires d’autant plus empressés à l’éclairer qu’ils reçoivent peu souvent des demandes de ce genre. Et pourtant, que penserait-on d’un voyageur qui traverserait comme sa valise des pays inconnus de lui ? Immédiatement le professeur comprendra mieux certains détails de la vie quotidienne de son établissement, s’il sait que celui-ci a un budget, que ce budget à tel ou tel autre impose une économie des plus strictes, s’il connaît l’existence et l’origine des fonds de réserve, l’emploi qu’en peut en faire l’administration collégiale. Le professeur a tout à gagner à être un usager ainsi informé des ressources de sa maison, contre le train de laquelle il réagira peut-être sans animosité déplacée ou injuste le jour où il aura quelque doléance à faire valoir, une observation à présenter.
De même le professeur doit non seulement connaître l’effectif de sa classe, mais avoir un aperçu de celui de l’établissement, de ses variations au cours des huit ou dix dernières années et des raisons générales ou locales qui les expliquent ; il doit s’informer aussi des différents milieux sociaux où sont recrutés les élèves, les fils des gros propriétaires fonciers de telle région agricole n’attendant peut-être pas de leur passage dans l’enseignement secondaire ce que vient y chercher la clientèle d’une ville industrielle ou de négoce ou encore celle d’une vieille capitale administrative et bourgeoise ; sans doute le professeur s’expliquera-t-il en partie, à la lumière de ces renseignements, l’orientation de élèves vers certaines études de préférence à telles autres et leur goût pour certaines grandes écoles, certaines carrières que lui confirmera le palmarès des succès de la maison qu’il aura la curiosité de compulser. Évidemment, personne ne fera grief au jeune débutant de ne pas s’enquérir de ces données, mais c’est lui-même qui pour lui-même, devra éprouver le besoin de prendre de telles informations ; un enseignement vaut dans la mesure où il est adapté avec précision au milieu auquel il s’adresse et le bon maître ne s’étonne pas de ne pas recevoir des élèves ce que ceux-ci ne peuvent donner.
Ainsi renseigné, sur le fonctionnement de son établissement et sur la nature et l’esprit de la clientèle qui le fréquente, le professeur ne doit pas manquer non plus de s’intéresser à la vie des élèves à l’extérieur de la classe et de marquer de l’intérêt pour toutes leurs organisations. Il ne leur refusera pas une carte de membre honoraire de leur société sportive ; il ira une après-midi de jeudi assister sur le stade à quelqu’une de leurs compétitions athlétiques, il les aidera de sa personne ou de ses conseils à monter la représentation de quelque œuvre dramatique, à préparer une séance musicale, et dans tous les cas, il se fera un devoir d’assister au jour fixé à l’une ou l’autre de ces manifestations ; il serait malséant à lui de faire la petite bouche et de vouloir toujours ignorer de façon méprisante ces spectacles de collège au nom des exigences de son goût en matière artistique ou seulement parce qu’il a d’autres occupations ou préoccupations. Il ne s’agit pas seulement d’instruire les élèves, il faut encore leur montrer qu’on les suit et qu’on les aime, s’intéressant à tout ce qui les intéresse eux-mêmes, à leurs jeux, à leurs divertissements comme à leurs études proprement dites.
Le professeur aura encore l’occasion de montrer que la vie générale de son établissement ne lui est point étrangère ou indifférente, en étant présent aux côtés du chef de la maison à diverses solennités, cérémonies ou manifestations de tous ordres, officielles ou non, qu’il sache à ce propos ne pas montrer un esprit exagérément chatouilleux ou étriqué sur la question de sa liberté de pensée ou d’action : un professeur ne se range sous aucune étiquette politique à assister en sa qualité de professeur à la messe de communion solennelle des élèves de sa classe, à une cérémonie officielle le jour de la fête de Jeanne-d’Arc ou à une revue militaire ; il montre seulement par sa présence à côté de ses chefs, une fois ou l’autre, à telle ou telle de ces manifestations, qu’il prête son à établissement une sorte de personnalité morale de la dignité de laquelle il a souci.
On parle beaucoup de l’esprit des collèges d’Outre-Manche, de la force de leurs traditions, chacun ayant sa physionomie qui lui est propre, ses mœurs et ses coutumes comme ses biens meubles et immobiliers. De telles individualités n’existent qu’à la faveur d’une organisation sociale qui n’est point la nôtre, on ne saurait cependant trop souhaiter que son établissement soit pour le jeune-professeur quelque chose de plus que la maison impersonnelle où il exerce à jours et heures fixes un métier et d’où il s’échappe à pas pressés, aussitôt l’heure sonnée, comme un ouvrier de son usine, ou un employé de son bureau.

XI
Les rapports du professeur avec les parents

Les rapports entre le personnel enseignant et les familles sont devenus plus étroits à partir de 1920, pour deux raisons semble-t-il. Tout d’abord, les modifications et les retouches apportées aux programmes et aux horaires de nos classes secondaires ont été si nombreuses et souvent si rapprochées les unes des autres depuis cette date que les usagers, entendons les parents, déroutés et embarrassés dans l’imbroglio des sections et des options, des régimes transitoires et des régimes définitifs ont pris l’habitude de solliciter les éclaircissements, les avis et les conseils des professeurs comme des administrateurs. D’autre part, les associations de parents d’élèves ont vu le jour et les pouvoirs publics leur ont reconnu une existence officielle en consultant leurs représentants, en faisant état de leurs avis ; comme un des buts de ces associations est d’établir une collaboration entre les familles et le lycée ou le collège, on s’explique que, le mouvement prenant de plus en plus d’ampleur, les occasions de contacts particuliers se soient multipliées entre professeurs et parents.
Il n’y a pas lieu de regretter qu’une telle liaison existe, car il est de toute nécessité que sous l’élève, le maître connaisse l’enfant ou le jeune-homme. Aussi ne manquera-t-il pas de lui demander à lui-même, dès la première classe de l’année, les premiers éléments indispensables de toute connaissance individuelle, son âge, la date et le lieu de sa naissance, la profession des parents, leur adresse, des renseignements sur sa scolarité antérieure, sur ses goûts, ses distractions favorites, etc. Il fera savoir aux élèves qu’il se tient à la disposition des familles chaque semaine, à des jours et des heures fixes, chez lui ou au parloir de l’établissement. Certains parents ne manquerons pas de se présenter bientôt au rendez-vous, d’autres suivront et à la suite de ces entretiens, la maître aura vite complété les renseignements un peu trop impersonnels qu’il avait recueillis de la bouche même de ses élèves ; il prendra dans ces rencontres une notion directe, mais précieuse, du milieu familial de chacun, se représentant dans quelles conditions l’enfant travaille à son foyer, sera en possession de certaines informations touchant sa santé, ses possibilités physiques, son caractère, la lumière desquelles bien des réactions de l’élève, des lacunes et des insuffisances, divers traits de comportement s’expliqueront.
Prévenons toutefois le jeune professeur que de tels rapports entre les parents et lui-même, pour désirables et utiles qu’ils soient, exigeront de sa part une certaine réserve ; qu’il fasse attention à ne jamais perdre sa liberté de jugement et son indépendance. Nous l’avons déjà mis en garde contre l’espèce de parents qui d’emblée lui demanderont de donner des leçons particulières à leurs fils ; ceux-ci risquent d’être des élèves franchement médiocres, enfants gâtés et paresseux, à qui leurs parents cherchent à assurer une année douillette en circonvenant les maîtres, il y va de la dignité de ceux-ci de déjouer la manœuvre et de ne pas répondre à de telles avances.
Il se peut aussi qu’au fil des jours, les rencontres entre maîtres se fassent plus fréquentes, qu’elles se poursuivent peu à peu sur le plan de relations d’amitié. Il ne saurait être question de persuader le professeur qu’il ne convient pas de nouer de tels liens ; le seul conseil à lui donner est de veiller toujours à sauvegarder sa pleine et entière liberté d’appréciation et d’action à l’égard de chacun de ses élèves. L’expérience montre que les familles, sinon d’emblée, du moins à la longue, donnent toujours toute leur estime et toute leur confiance à un professeur n’exigeant rien des élèves qu’ils ne puissent fournir, mais l’exigeant avec fermeté, sans se prêter aux lâches compromissions de la mollesse et de la paresse. Le vrai professeur est – au moins autant que les familles – soucieux de former ses élèves à la droiture morale et de leur apprendre qui on ne transige pas avec son devoir d’état.

– CONCLUSION –

Nous voudrions qu’arrivé au bout de ces longues pages de conseils et de suggestions, le jeune professeur n’emporte pas l’impression qu’il va affronter une tâche pleine de difficultés et d’embûches, mettant son attention sur un qui-vive continuel. Il s’agit seulement pour lui de retenir qu’une telle tâche ne s’improvise pas, qu’il ne s’en acquittera pas d’emblée de façon parfaite, qu’elle suppose une technique avec des règles et des procédés dont on a tort de ne lui avoir jamais parlé, qu’il doit acquérir rapidement la connaissance de cette technique.
L’essentiel est qu’il aime son métier, qu’il ne le considère pas comme l’accessoire de sa vie, qu’il se projette de s’y donner tout entier, avec conscience, de tout l’effort de sa bonne volonté. Ne reprenons pas les formules éventées, ne disons pas au jeune professeur qu’il doit tenir sa fonction pour un sacerdoce car c’est dire trop et rien. Disons-lui seulement que s’il veut bien s’en acquitter, avec tout son esprit et de tout son cœur, avoir le souci de s’offrir toujours lui-même à ses élèves en exemple de totale rectitude, savoir-faire cas de leurs personnalités, s’appliquer à leur rendre sensible l’intérêt qu’il leur témoigne, enfin ne rien laisser de son action de chaque jour à l’improvisation et au hasard, il n’aura point manqué son but. On arrive toujours cahin-caha au bout d’une carrière de professeur ; le tout est de ne la point parcourir stérilement et de laisser quelque chose de soi après soi.