Corrigé : 2018, Trump au G7
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Consigne : après avoir présenté les deux documents, vous analyserez comment les relations des États-Unis avec le reste du monde y sont décrites.
• Méthode : l’analyse de doc(s).
Document 1
Document 2
L’image a fait le tour du monde en 24 heures. Prise à La Malbaie, elle montre un Donald Trump assis seul, bras croisés, d’un côté d’une petite table de conférence. Il regarde d’un air goguenard (ou renfrogné) ses homologues, les dirigeants européens qui l’entourent debout, l’air inquiet (ou exaspéré, ou implorant).
On voit en particulier Angela Merkel, les deux mains sur la table, l’air de lui dire : « Mais vas-tu entendre raison à la fin ??? » Derrière, le Premier ministre japonais a le regard un peu vide, peut-être désespéré.
Cette image exprime le changement d’époque en cours dans les relations internationales. Et nommément, l’explosion du concept de « bloc occidental ».
On essaie désespérément de maintenir un ordre existant, mais cet ordre est dépassé. L’agent décisif du changement est ici un « grand dynamiteur » nommé Donald Trump.Dans son avion qui le conduisait en Corée du Nord, il a décidé d’annuler l’accord précédemment donné au communiqué commun des Sept, tout en insultant celui qui l’avait accueilli plus tôt, le Premier ministre canadien jugé « malhonnête et faible ».
Heureusement pour lui, M. Trump était déjà tourné, tout enthousiaste, vers sa rencontre autrement plus intéressante de mardi [1], à Singapour, avec un homme qui, lui, est « fort et honorable » : Kim Jong-un.
Qui se ressemble s’assemble. Dans cet épisode, plus ostensiblement que jamais, le président a boudé les alliés traditionnels des États-Unis, leur préférant des hommes comme Kim, Xi, Poutine, le prince Salman… félicités, admirés, encensés par un personnage qui semble irrésistiblement attiré par les régimes autoritaires.
Mais l’inconduite du malotru déséquilibré qui dirige la Maison-Blanche n’est pas qu’une aberration passagère, dont les causes seraient uniquement psychologiques… et les effets, réversibles, une fois le personnage disparu du paysage.
Non, car Trump, dans ses excès, sa brutalité et sa vulgarité, est aussi un révélateur et un accélérateur de tendances authentiques qui lui préexistaient dans les relations internationales en ce début de XXIe siècle. Des tendances ne dépendant pas que des décisions subjectives et ponctuelles de tel ou tel leader.
Le G7, par exemple, est une organisation du XXe siècle, fatiguée, peut-être en fin de course, qui n’a plus la substance, l’utilité et la force stratégique qu’elle a pu avoir à une autre époque. En 1975, et même en 1990, le G7 exprimait clairement une mission, une cohésion, une domination de l’Occident… qui n’existent plus aujourd’hui.
François Brousseau, « Fin d’époque au G7 », Le Devoir, Montréal, 11 juin 2018.
→ https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530017/fin-d-epoque-au-g7
En 2018, le sommet annuel du groupe des Sept (G7) s’est tenu au Canada. Le pays-hôte a reçu les chefs d’État et de gouvernement à La Malbaie, au nord de la ville de Québec, dans un bel hôtel (le Manoir Richelieu).
Les réunions se sont tenues les 8 et 9 juin 2018, marquées selon les commentateurs par des tensions entre les participants, notamment vis-à-vis du président des États-Unis.
Une photographie du 9 juin a particulièrement retenu l’attention, exprimant ces tensions. Mais la réalité a peut-être été un petit peu manipulée...
Une photo montrant des tensions
La photo est centrée sur deux chefs de gouvernement, la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre japonais Shino Abe. En face d’eux est assis le président des États-Unis Donald Trump. Sur la gauche, beaucoup moins visibles car cachés par un assistant, on devine le président français Emmanuel Macron et la première ministre britannique Theresa May.
Les poses et les figures sont autoritaires : Abe a les bras croisés et la figure fermée ; Merkel s’appuie sur la table en fixant Trump ; ce dernier, assis et les bras croisés, regarde ses interlocuteurs européens.
Un internaute en a fait un détournement qui a connu un certain succès de diffusion, mettant en valeur la chancelière allemande qui a l’air de gronder Trump comme un enfant pas sage, rajoutant entre eux une grosse assiette de pâtes à la tomate :
Il faut dire que lors des G7, on a plutôt l’habitude de la classique photo de famille, très consensuelle, avec quelques sourires un peu forcés et des coucous de la main. Voici une de ces photos, pour le G7 de 2018 :
C’est le G7, mais ils sont neuf sur la photo, en rajoutant les deux représentants de l’Union européenne. De gauche à droite :
- le président du Conseil européen Donald Tusk ;
- Theresa May ;
- Angela Merkel ;
- Donald Trump ;
- le premier ministre canadien Justin Trudeau ;
- Emmanuel Macron ;
- Shinzo Abe ;
- le président du Conseil italien Giuseppe Conte ;
- le président de la Commission européen Jean-Claude Juncker.
La disposition de ces chefs d’État et de gouvernement n’est pas due au hasard, elle est conventionnelle. Le Canadien est au milieu, car il est l’hôte. De part et d’autre il a à sa droite l’Étasunien (logique, c’est la principale puissance mondiale) et à sa gauche le Français (moins logique, mais c’est Giscard qui a fondé le G6 en 1975 à Rambouillet). Plus loin on trouve les pays moins puissants diplomatiquement : l’Allemande et le Japonais, puis la Britannique et l’Italien. Aux extrémités, les deux représentants de l’UE (révélateur de leur manque de poids politique).
Ce n’est pas cette photographie qui a été la plus diffusée dans les médias, mais plutôt le cliché servant de document 1, plus marquant et plus parlant.
Un article plutôt critique
L’article du quotidien québecois Le Devoir, publié deux jours plus tard, est un exemple assez représentatif de la façon dont la majorité des médias a présenté le sommet.
Il évoque d’abord la photo, celle du document 1, qui selon lui « a fait le tour du monde en 24 heures » : internet permet une telle diffusion virale. Régulièrement, les différentes agences de presse et sites d’information de presque tous les pays reprennent tous la même photo à succès, en raison de la mise en scène (le cas ici), de sa beauté (un paysage ou une personne) ou plus souvent parce qu’elle est choquante (enfant syrien noyé, victimes d’attentat ou vue d’une catastrophe naturelle).
Cet article est surtout une charge contre Trump, qui a décidément mauvaise presse. L’auteur a la plume acide : « l’inconduite du malotru déséquilibré qui dirige la Maison-Blanche » ! Le vocabulaire utilisé est plutôt violent : les homologues de Trump sont soit « inquiets », « exaspérés » ou « désespérés » par « ses excès, sa brutalité et sa vulgarité ».
Le passage « insultant celui qui l’avait accueilli plus tôt » fait référence au tweet de Trump le 9 juin, juste après le sommet :
PM Justin Trudeau of Canada acted so meek and mild during our @G7 meetings only to give a news conference after I left saying that, “US Tariffs were kind of insulting” and he “will not be pushed around.” Very dishonest & weak. Our Tariffs are in response to his of 270% on dairy ! [2]
Puis l’auteur rajoute « qui se ressemble s’assemble », mentionnant que Trump rencontre Kim (le « dirigeant suprême » nord-coréen Kim Jong-un), Xi (le président chinois Xi Jinping), Poutine (le président russe Vladimir Poutine), le prince Salman (le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane Al Saoud) : selon lui, il serait « irrésistiblement attiré par les régimes autoritaires ». « Qui se ressemble s’assemble » : une accusation, nettement sous-entendu, non seulement que Trump aimerait particulièrement les dictatures et les régimes autoritaires, mais qu’il rêverait de faire de même chez lui.
Après avoir passé Trump au vitriol, l’auteur de l’article s’en prend ensuite aux sommets du groupe des Sept, qui selon lui ne sont que des représentants du « bloc occidental » : l’expression date de la guerre froide (comme le G7...), quant l’occident (c’est-à-dire les États-Unis et ses alliés) était en conflit contre le bloc de l’Est (l’URSS et ses alliés). Les choses ont évolué depuis, avec la montée en puissance économique et politique d’autres puissances, surtout la Chine et l’Inde, mais aussi l’Indonésie, le Brésil, le Mexique et la Turquie, qui ont des PIB à ppa (parité de pouvoir d’achat) supérieurs à celui du Canada. Comme le dit l’auteur du document 2, la domination des anciennes puissances du siècle précédent est dépassée, le G7 n’est plus représentatif des puissances actuelles (d’où la fondation du Groupe des vingt en 1999).
Une réalité un peu différente
La photo des chefs d’État et de gouvernement semblant s’affronter a été prise lors d’un petit-déjeuner de travail du G7. Les discussions ne furent pas aussi tendues que semble montrer le cliché, comme le montre un autre ci-dessous de la même série avec les même participants (Angela et même Trudeau sourient).
Les deux images ont été publiées à l’origine sur https://www.bundesregierung.de/ [3], qui est le site du gouvernement fédéral allemand (die Bundesregierung). Il est logique que la photo sélectionnée mette particulièrement en valeur la chancelière, car le photographe est allemand. La légende d’origine était : Die Staats- und Regierungschefs stehen zu ihrer Gipfelerklärung, obwohl Trump seine Unterstützung nachträglich zurückgezogen hat (« les chefs d’État et de gouvernement discutent de leur déclaration au sommet, bien que Trump ait retiré son soutien rétrospectivement »).
Il y a là une petite manipulation de la réalité, par sélection d’une image plus parlante qu’une autre, pour porter un discours et mettre en valeur le rôle de l’Allemagne.
Si Trump a beaucoup critiqué l’Allemagne (et la Chine) pour leur balance commerciale bénéficiaire avec les États-Unis, ses relations personnelles avec Shinzo et Macron sont plutôt bonnes.
Mais est-ce que les relations entre les puissances se limitent à des querelles d’ego, où le caractère des dirigeants est déterminant ?
La réalité est bien qu’il y a bien quelques tensions diplomatiques que se soit entre d’une part le président des États-Unis et d’autre part les Européens, mais il ne faut pas imaginer un front commun contre Trump : les tensions entre les Européens sont toutes aussi importantes, ils sont particulièrement divisés à cause de la crise migratoire en Europe, de l’entrée au gouvernement italien de la Ligue du Nord, ou de la négociation du Brexit.
[1] 12 juin 2018.