Le nationalisme, c’est la guerre !

Discours de François Mitterrand en 1995 sur l’Europe.
dimanche 18 mars 2018
par  Julien Daget

[...] Je forme vraiment des vœux pour la réussite de vos travaux. Je vous remercie, pour la patience et l’attention avec lesquelles vous avez bien voulu m’écouter, et je terminerai par quelques mots qui seront plus personnels.

Il se trouve que les hasards de la vie ont voulu que je naisse pendant la Première Guerre mondiale et que je fasse la seconde. J’ai donc vécu mon enfance dans l’ambiance de familles déchirées, qui toutes pleuraient des morts et qui entretenaient une rancune et parfois une haine contre l’ennemi de la veille. L’ennemi traditionnel ! Mais, mesdames et messieurs, nous en avons changé de siècle en siècle ! Les traditions ont toujours changé. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que la France avait combattu tous les pays d’Europe, je crois, à l’exception du Danemark, on se demande pourquoi !?

Mais, ma génération achève son cours, ce sont ses derniers actes, c’est l’un de mes derniers... actes publics. Il faut donc absolument transmettre. Vous êtes vous-mêmes nombreux à garder l’enseignement de vos pères, à avoir éprouvé les blessures de vos pays, à avoir connu le chagrin, la douleur des séparations, la présence de la mort, tout simplement par l’inimité des hommes d’Europe entre eux. Il faut transmettre, non pas cette haine, mais au contraire la chance des réconciliations que nous devons, il faut le dire, à ceux qui dès 1944-1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle le plus souvent, ont eu l’audace de concevoir ce que pourrait être un avenir plus radieux qui serait fondé sur la réconciliation et sur la paix. C’est ce que nous avons fait !

Je n’ai pas acquis ma propre conviction comme cela, par hasard. Je ne l’ai pas acquise dans les camps allemands où j’étais prisonnier, ou dans un pays qui était lui-même occupé comme beaucoup d’entre-vous. Mais je me souviens que dans une famille où l’on pratiquait des vertus d’humanité et de bienveillance, tout de même, lorsque l’on parlait des Allemands, on en parlait avec animosité.
Et je m’en suis rendu compte, lorsque j’étais prisonnier de guerre, évadé, c’est-à-dire en cours d’évasion, j’ai rencontré des Allemands. Et puis j’ai vécu quelques temps en Bade-Wurtemberg dans une prison, et les gens qui étaient là, les Allemands avec lesquels je parlais, je me suis aperçu qu’ils aimaient mieux la France que nous n’aimions l’Allemagne. Je dis cela sans vouloir accabler mon pays, qui n’est pas le plus nationaliste loin de là, mais pour faire comprendre que chacun a vu le monde de l’endroit où il se trouvait, et ce point de vue était généralement déformant.
Il faut vaincre ses préjugés.

Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, mesdames et messieurs : le nationalisme, c’est la guerre !
La guerre ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir, et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ! Merci.

Fin du discours de François Mitterrand, président de la République, sur le programme de la présidence française de l’Union européenne, notamment en matière d’élargissement, d’union économique et monétaire, d’organisation de l’Europe sociale, d’identité culturelle et de sécurité, devant le Parlement européen à Strasbourg le 17 janvier 1995.
http://discours.vie-publique.fr/notices/957000600.html