Doc. – L’encyclique de croisade de 1146
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Consigne : après avoir présenté le document, vous analyserez les raisons de partir en croisade selon Bernard de Clairvaux.
• Méthode : l’analyse de document(s)
Aux très chers seigneurs et pères, archevêques, évêques, et à l’ensemble du clergé et de la population de France orientale et de Bavière, Bernard, appelé abbé de Clairvaux ; que l’esprit de force abonde en eux.
[...] la terre est émue et elle tremble parce que le Dieu du ciel a commencé à perdre sa terre. Je dis bien Sa terre, celle où il a été vu, où il a vécu, homme parmi les hommes, pendant plus de trente ans. Sa terre, surtout, qu’il a illuminée de ses miracles, consacrée de son propre sang, celle où apparurent les premières fleurs de la résurrection. Et voici maintenant qu’à cause de nos péchés [peccatis nostris exigentibus], les ennemis de la croix ont relevé leur tête sacrilège et ont dépeuplé, du tranchant de leur épée, la terre bénie, la terre de la promesse. Bientôt, si nul ne leur résiste, ils se rueront dans la cité même du Dieu vivant, ils y détruiront les témoignages de notre rédemption, ils pollueront les lieux sanctifiés par le sang pourpre de l’Agneau immaculé. De leurs bouches sacrilèges, ô douleur !, ils insultent le sanctuaire de la religion chrétienne et ils se préparent à envahir et souiller la couche même sur laquelle, pour nous, notre Vie s’est endormie dans la mort.
Qu’allez-vous faire, vaillants hommes ? Qu’allez-vous faire, serviteurs de la croix ? Allez-vous livrer aux chiens ce qui est saint, et jeter ces perles aux pourceaux ? Depuis que les superstitions des païens ont été purgées de ces lieux par l’épée de vos pères, combien de pêcheurs, en y confessant avec larmes leurs péchés, y ont obtenu leur pardon ! Le Malin le voit bien, lui, et il enrage ! Il grince des dents et se consume. Il excite ses « vases d’iniquité », et si par malheur (Dieu veuille l’empêcher !) il parvient à s’en emparer, il n’y subsistera plus ni miracles ni traces d’une telle piété. Et en vérité ce serait pour tous les siècles à venir une douleur inconsolables car la perte serait irrémédiable ; mais ce serait en particulier pour cette très méchante génération une honte infinie et une infamie éternelle.
Que faut-il donc penser de cela, mes frères ? Le bras de Dieu est-il devenu trop court ? Serait-il incapable de sauver, au point d’en être réduit, pour que son héritage lui soit restitué et protégé, à faire appel à nous, minuscules vermisseaux ? Pour libérer sa terre, ne peut-il pas envoyer plus de douze légions d’anges, ou bien prononcer seulement un mot ? Tout lui est soumis, et il le pourrait, s’il le voulait. Mais, je vous le dis, votre Dieu vous met à l’épreuve. Il observe les fils des hommes pour savoir qui, parmi eux, comprend, regrette et déplore sa propre faute. Car Dieu éprouve de la miséricorde pour son peuple, et il a préparé un remède pour sauver ceux qui ont gravement fauté.
Observez donc, pécheurs, et admirez l’art dont Dieu use pour vous sauver ; considérez, pécheurs, la profondeur de sa miséricorde. Il ne veut pas votre mort ; il veut que vous vous convertissiez et que vous viviez. Et il en cherche l’occasion, non pas contre vous, mais pour vous. Qu’est-ce en effet, sinon une merveilleuse occasion de salut trouvée par Dieu seul, le fait que le Tout-Puissant juge digne d’appeler aux armes à son service les homicides, les ravisseurs, les adultères, les parjures et autres criminels, comme s’ils étaient des gens pratiquant la justice ? N’en doutez pas, pécheurs : le Seigneur est bienveillant. [...]
Et puisque votre terre est riche en hommes vaillants, réputée pour sa jeunesse robuste au point que sa louange en est répandue dans le monde entier, et que la renommée de votre vaillance remplit la terre entière, ceignez-vous vaillamment vous aussi et prenez les armes bienheureuses par zèle pour le nom chrétien. Mettez fin, non pas à votre ancienne milice [milicia] mais à cette véritable malice [malitia] que vous avez coutume de pratiquer entre vous, qui vous tue les uns les autres et conduit à votre mutuelle destruction. Quelle est donc cette folle débauche de malheurs... En voici un qui transperce de son épée le corps de son prochain, dont l’âme périra peut-être aussi. Mais celui qui triomphe n’y échappe pas non plus : alors même qu’il se réjouit d’avoir tué son ennemi, un glaive transpercera son âme. S’adonner à de tels combats, c’est de la folie ! Il ne faut y voir ni vaillance ni audace, mais bien plutôt de la démence. Mais tu as maintenant, ô vaillant chevalier, tu as, toi qui es un guerrier, un lieu où tu peux combattre sans péril, où vaincre apporte la gloire et où mourir est un gain. Et si tu es un marchand avisé, un conquérant de ce monde, je te révèle quelques bonnes affaires ; veille à ne pas les laisser passer. Prenez l’un et l’autre le signe de la croix et vous y gagnerez le pardon de tous les péchés que vous aurez confessés avec un cœur contrit. […] Amen.
Otton de Freising, Gesta Friderici imperatoris, livre I, paragraphe 41, publié dans Monumenta Germaniae Historica, tome 20, Hanovre, 1868, p. 373-374. → https://www.dmgh.de/de/fs1/object/goToPage/bsb00000887.html?pageNo=373
trad. Jean Flori, Prêcher la croisade (XIe-XIIIe siècle) : communication et propagande, Paris, éditions Perrin, 2012.
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