L’ère des dreadnoughts
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Les découvertes en chimie de la fin du XIXe siècle trouvèrent immédiatement des applications militaires : dans les années 1880, les recherches sur la nitrocellulose permirent de mettre au point la « poudre sans fumée », appelée aussi « fulmicoton » (guncotton), « poudre B » chez les Français (conditionné sous forme de plaquettes) et cordite chez les Britanniques (extrudé sous forme de cordelettes), utilisés comme propergol. Côté charge explosive, c’est l’acide picrique (appelé aussi mélinite ou turpinite), le trinitrotoluène (TNT), etc. qui firent leur apparition.
En conséquence, l’artillerie fit des progrès en terme de portée et de précision, les nouveaux modèles d’obus tirés par des longs canons à âme rayée et à chargement par la culasse atteignirent les dix, puis les vingt kilomètres de portée. Une nouvelle catégorie de navires fut inventée dans les années 1880 pour porter ces canons et y résister, les cuirassés (battleship).
Les puissances navales se lancèrent dans la construction en série de ces nouveaux navires, la Royal Navy britannique se maintenant en tête de la compétition (au nom du two-power standard de 1889) et servant de modèle aux flottes allemande, américaine, française, italienne, japonaise et russe. Plusieurs innovations britanniques furent largement copiées, déclenchant une nouvelle course aux armements. La première marqua une césure, ce fut le HMS Dreadnought (déformation de which dreads nought, « qui ne redoute rien »), construit en secret en 1905-1906. Ses quatre turbines à vapeur lui donnait une vitesse maximale de 21 nœuds, record complété par son blindage de 28 cm d’épaisseur, le tout armé avec dix canons de 12 pouces (soit 305 mm), disposés par couple en tourelles (l’originalité étant d’avoir un seul calibre : all-big-gun). Sa puissance surclassant tout ses prédécesseurs, on parle pour eux de « pré-dreadnought » [1], puis de dreadnought pour ses équivalents, enfin de super-dreadnought pour la génération de cuirassés ultérieure.
La deuxième innovation fut l’installation d’une chaudière au mazout à bord du cuirassé HMS Mars lors de sa refonte en 1907-1908. Cette décision de l’Amirauté la rendit dépendante de l’approvisionnement en pétrole iranien.
La classe Queen Elisabeth
La photographie ci-dessus montre les cuirassés HMS Barham, Valiant, Malaya et Warspite en 1916.
Ces quatre cuirassés britanniques sont identiques car construits en série ; celle-ci est appelée la classe Queen Elisabeth (le Queen Elisabeth fait aussi partie de l’escadre, mais se trouve en cale sèche en 1916). La série est ordonnée dans le contexte de la course aux armements avec l’Allemagne : le programme de 1912, promu par le premier Lord de l’Amirauté Winston Churchill, prévoit des canons plus gros qu’auparavant (huit pièces de 15 pouces, soit des obus de 381 mm de diamètre), des blindages plus épais (une ceinture de 30 cm) et des navires plus rapides (avec des pointes à 25 nœuds, grâce à des chaudières au mazout plutôt qu’au charbon). Les cinq unités de 196 mètres de long pour 35 000 tonnes de déplacement sont mises en chantier presque en même temps, pour entrer en service en 1915-1916, ce qui leur permit de participer à la bataille du Jutland (31 mai 1916).
La fin de la Première Guerre mondiale voit la destruction de la flotte allemande (par son sabordage à Scapa Flow le 21 juin 1919), mais la compétition reprend immédiatement, essentiellement entre les États-Unis, l’Empire du Japon et le Royaume-Uni. Le traité de Washington de février 1922 suspend cette course, jusqu’à ce que le Japon le dénonce en 1934. Toutes les puissances relancent alors les constructions, avec notamment les quatre cuirassés étasuniens de la classe Iowa (capable d’aller à 32 nœuds, armés de canons de 16 pouces soit 406 mm) et les deux japonais de la classe Yamato (armés avec neuf canons de 18 pouces, soit 460 mm).
[1] Les marins allemands appelaient leurs « vieux » pré-dreadnoughts les Fünf Minuten Schiffe, les cinq minutes correspondant à leur survie estimée face aux nouveaux cuirassés.