Le début de la Commune
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L’invasion des faubourgs par l’armée fut faite dans la nuit du 17 au 18 [mars 1871] ; mais malgré quelques coups de fusils des gendarmes et des gardes de Paris, ils fraternisèrent avec la garde nationale.
Sur la butte, était un poste du 61e [1] veillant au n° 6 de la rue des Rosiers, j’y étais allée de la part de Dardelle pour une communication et j’étais restée.
[...] quand le factionnaire Turpin tombe atteint d’une balle. Le poste est surpris sans que le coup de canon à blanc qui devait être tiré en cas d’attaque ait donné l’éveil, mais on sentait bien que la journée ne finissait pas là.
La cantinière et moi nous avions pansé Turpin en déchirant notre ligne sur nous, alors arrive Clemenceau qui ne sachant pas le blessé déjà pansé demande du linge. Sur ma parole et sur la sienne de revenir, je descends la Butte, ma carabine sous mon manteau en criant : Trahison ! Une colonne se formait, tout le comité de vigilance était là : Ferré, le vieux Moreau, Avronsart, Lemoussu, Burlot, Scheiner, Bourdeille. Montmartre s’éveillait, le rappel battait, je revenais en effet, mais avec les autres à l’assaut des buttes.Dans l’aube qui se levait, on entendait le tocsin : nous montions au pas de charge, sachant qu’au sommet il y avait une armée rangée en ordre de bataille. Nous pensions mourir pour la liberté.
On était comme soulevés de terre. Nous morts, Paris se fût levé. Les foules à certaines heures sont l’avant-garde de l’océan humain.
La butte était enveloppée d’une lumière blanche, une aube splendide de délivrance.
Tout à coup je vis ma mère près de moi et je sentis une épouvantable angoisse ; inquiète, elle était venue, toutes les femmes étaient là montées en même temps que nous, je ne sais comment.Ce n’était pas la mort qui nous attendait sur les buttes où déjà l’armée attelait les canons, pour les joindre à ceux des Batignolles enlevés pendant la nuit, mais la surprise d’une victoire populaire.
Entre nous et l’armée, les femmes se jettent sur les canons, les mitrailleuses ; les soldats restent immobiles.
Tandis que le général Lecomte commande feu sur la foule, un sous-officier sortant des rangs se place devant sa compagnie et plus haut que Lecomte, crie : crosse en l’air ! Les soldats obéissent. C’était Verdaguerre qui fut pour ce fait surtout, fusillé par Versailles quelques mois plus tard.
La révolution était faite.Lecomte arrêté au moment où pour la troisième fois il commandait feu, fut conduit rue des Rosiers où vint le rejoindre Clément Thomas, reconnu tandis qu’en vêtement civils il étudiait les barricades de Montmartre.
[...] Clément Thomas et Lecomte eurent surtout pour adversaires leurs propres soldats.
L’entassement silencieux des tortures que permet la discipline militaire amoncelle aussi d’implacables ressentiments. [...] les colères montent, un coup part, les fusils partent d’eux-mêmes.
Clément Thomas et Lecomte furent fusillés vers quatre heures rue des Rosiers.
Clément Thomas mourut bien.[...] La victoire était complète ; elle eût été durable, si dès le lendemain, en masse, on fût parti pour Versailles où le gouvernement s’était enfui.
Beaucoup d’entre nous fussent tombé sur le chemin, mais la réaction eût été étouffée dans son repaire. La légalité, le suffrage universel, tous les scrupules de ce genre qui perdent les révolutions, entrèrent en ligne comme de coutume.
Louise Michel, La Commune, Paris, P.-V. Stock, 1898 (réimpression en 2015 aux éditions la Découverte). → https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8539374
[1] Le 61e bataillon de marche, unité levée à Montmartre pendant la guerre.