Doc. : de l’emploi des artistes en temps de guerre

jeudi 11 août 2016
par  Julien Daget

Consigne : après avoir présenté les deux documents, montrez comment les arts peuvent être instrumentalisés en temps de guerre.
Méthode : l’étude critique


Document 1

Nous n’avons plus de maisons !
Les ennemis ont tout pris, tout pris, tout pris,
Jusqu’à notre petit lit !
Ils ont brûlé l’école et notre maître aussi,
Ils ont brûlé l’église et monsieur Jésus-Christ,
Et le vieux pauvre qui n’a pas pu s’en aller !
Nous n’avons plus de maisons !
Les ennemis ont tout pris, tout pris, tout pris,
Jusqu’à notre petit lit !

Bien sûr ! Papa est à la guerre,
Pauvre maman est morte !
Avant d’avoir vu tout ça.
Qu’est-ce que l’on va faire ?
Noël, petit Noël, n’allez pas chez eux, n’allez plus jamais chez eux, punissez-les !
Vengez les enfants de France !
Les petits Belges, les petits Serbes, et les petits Polonais aussi !
Si nous en oublions, pardonnez-nous.
Noël ! Noël ! surtout, pas de joujoux,
Tâchez de nous redonner le pain quotidien.

Nous n’avons plus de maisons !
Les ennemis ont tout pris, tout pris, tout pris.

Jusqu’à notre petit lit !
Ils ont brûlé l’école et notre maître aussi,
Ils ont brûlé l’église et monsieur Jésus-Christ,
Et le vieux pauvre qui n’a pas pu s’en aller !

Noël ! Écoutez-nous, nous n’avons plus de petits sabots !
Mais donnez la victoire aux enfants de France.

Claude Debussy, Noël des enfants qui n’ont plus de maison, 1915.


Document 2

La guerre ne peut s’accorder avec la raison et l’équité. Il lui faut l’enthousiasme pour sa propre cause et la haine de l’adversaire. Or, il est dans la nature humaine que des sentiments violents ne sauraient durer indéfiniment, ni dans un individu, ni dans un peuple, et l’organisation militaire le sait. C’est pourquoi elle a besoin d’un aiguillonnement artificiel, d’un continuel doping de l’excitation, et ce travail de stimulation, c’est aux intellectuels qu’il incombait, aux poètes, aux écrivains, aux journalistes - que ce fût avec bonne ou mauvaise conscience, loyalement ou par routine professionnelle, peu importait. [...] Presque tous, en Allemagne, en France, en Italie, en Russie, en Belgique, servaient la « propagande de guerre » et par là-même la folie, la haine collective, au lieu de la combattre. [...]

D’honnêtes commerçants estampillaient leurs enveloppes de la devise : Gott strafe England, des femmes de la bonne société juraient (et écrivaient dans les lettres aux journaux) qu’elles ne parleraient plus jamais un mot de français. Shakespeare était banni des scènes allemandes, Mozart et Wagner des scènes de concert de France et d’Angleterre, les professeurs allemands expliquaient que Dante était un Germain, les Français que Beethoven était un Belge, on réquisitionnait sans scrupules les trésors culturels des pays étrangers, comme le blé ou les minerais.

Stefan Zweig, Die Welt von Gestern : Erinnerungen eines Europäers [Le monde d’hier : Souvenirs d’un Européen], Stockholm, 1942.