Les femmes doivent-elles exercer les droits politiques ?
par
Discours à la Convention du député montagnard Jean Pierre André Amar, le 9 brumaire an II (30 octobre 1793).
1°. Les femmes doivent-elles exercer les droits politiques et s’immiscer dans les affaires du gouvernement ? Gouverner, c’est régir la chose publique par des lois dont la confection exige des connaissances étendues, une application et un dévouement sans bornes, une impassibilité sévère et l’abnégation de soi-même ; gouverner, c’est encore diriger et rectifier sans cesse l’action des autorités constituées. Les femmes sont-elles susceptibles de ces soins et des qualités qu’ils exigent. On peut répondre en général que non. Bien peu d’exemples démentiraient ce jugement.
Les droits politiques des citoyens sont de discuter et de faire prendre des résolutions relatives à l’intérêt de l’Etat par des délibérations comparées, et de résister à l’oppression. Les femmes ont-elles la force morale et physique qu’exige l’exercice de l’un et l’autre de ces droits ? L’opinion universelle repousse cette idée.Secondement, les femmes doivent-elles se réunir en associations politiques ? Le but des associations populaires est celui-ci : dévoiler les manœuvres des ennemis de la chose publique, surveiller et les citoyens comme individus et les fonctionnaires publics, même le corps législatif, exciter le zèle des uns et des autres par l’exemple des vertus républicaines, s’éclaircir par des discussions publiques et approfondies. Les femmes peuvent-elles se dévouer à ces utiles et pénibles fonctions ? Non, parce qu’elles seraient obligées d’y sacrifier des soins plus importants auxquelles la nature les appelle. Les fonctions privées auxquelles sont destinées les femmes par la nature même, tiennent à l’ordre général de ce qu’il y a entre l’homme et la femme. Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre ; son action est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir ; car la nature qui a posé les limites à l’homme commande impérieusement, et ne reçoit aucune loi.
L’homme est fort, robuste, né avec une grande énergie, de l’audace et du courage ; il brave les périls, l’intempérie des saisons par la constitution, il résiste à tous les éléments, il est propre aux arts, aux travaux pénibles ; et comme il est presqu’exclusivement destiné à l’agriculture, au commerce, à la navigation, aux voyages, à la guerre, à tout ce qui exige de la force, de l’intelligence, de la capacité, de même il paraît seul propre aux méditations profondes et sérieuses qui exigent une grande contention d’esprit et de longues études qu’il n’est pas donné aux femmes de suivre.
Quel est le caractère propre à la femme ? Les mœurs et la nature même lui ont assigné ses fonctions : commencer l’éducation des hommes, préparer l’esprit et le cœur des enfants aux vertus publiques, les diriger de bonne heure vers le bien, élever leur âme et les instruire dans le culte politique de la liberté ; telles sont leurs fonctions après les soins du ménage, la femme est naturellement destinée à faire aimer la vertu. Quand elles auront rempli tous ces devoirs, elles auront bien mérité de la patrie. Sans doute il est nécessaire qu’elles s’instruisent elles-mêmes dans les principes de la liberté pour la faire chérir à leurs enfants ; elles peuvent assister aux délibérations des Sections, aux discussions des sociétés populaires ; mais, faîtes pour adoucir les mœurs de l’homme, doivent-elles prendre une part active à des discussions dont la chaleur est incompatible avec la douceur et la modération qui font le charme de leur sexe ?
Nous devons dire que cette question tient essentiellement aux mœurs, et sans les mœurs point de République. L’honnêteté d’une femme permet-elle qu’elle se montre en public et qu’elle lutte avec les hommes, de discuter à la face d’un peuple sur des questions d’où dépend le salut de la République ? En général, les femmes sont peu capables de conceptions hautes et de méditations sérieuses ; et si chez les anciens peuples, leur timidité naturelle et la pudeur ne leur permettaient pas de paraître hors de leur famille, voulez-vous que dans la République Française, on les voit venir au barreau, à la tribune, aux assemblées politiques comme les hommes ; abandonnant et la retenue, source de toutes les vertus de ce sexe, et le soin de leur famille ?Elle ont plus d’un autre moyen de rendre des services à la patrie ; elles peuvent éclairer leurs époux, leur communiquer des réflexions précieuses, fruit du calme d’une vie sédentaire, employée à fortifier en eux l’amour de la patrie par tout ce que l’amour privé leur donne d’empire ; et l’homme éclairé par des discussions familières et paisibles, au milieu de son ménage, rapportera dans la société les idées utiles que lui aura données une femme honnête.
Nous croyons donc qu’une femme ne doit pas sortir de sa famille pour s’immiscer dans les affaires du gouvernement.
Il est un autre rapport sous lequel les associations des femmes paraissent dangereuses. Si nous considérons que l’éducation politique des hommes est à son aurore, que tous les principes ne sont pas développés, et que nous balbutions encore le mot liberté, à plus forte raison, les femmes dont l’éducation morale est presque nulle, sont-elles moins éclairées dans les principes. Leur présence dans les sociétés populaires donnerait donc une part active dans le gouvernement à des personnes plus exposées à l’erreur et à la séduction. Ajoutons que les femmes sont disposées, par leur organisation, à une exaltation qui serait funeste dans les affaires publiques, et que les intérêts de l’Etat seraient bientôt sacrifiés à tout ce que la vivacité des passions peut produire d’égarement et de désordre. Livrées à la chaleur des débats publics, elles inculqueraient à leurs enfants, non l’amour de la patrie, mais les haines et les préventions.
Nous croyons donc, et sans doute penserez comme nous, qu’il n’est pas possible que les femmes exercent les droits politiques. Vous détruirez ces prétendues sociétés populaires de femmes que l’aristocratie voudrait établir, pour les mettre aux prises avec les hommes, diviser ceux-ci, en les forçant à prendre un parti dans ces querelles, et exciter des troubles.