Doc. – La charte de 1814

« Louis, par la grâce de Dieu »
samedi 24 août 2019
par  Julien Daget

Consigne : après avoir présenté le document, votre analyse doit montrer s’il est un héritage de l’Ancien Régime ou de la Révolution française.
Méthode : l’analyse de document(s)


Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes verront, salut.

La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupé sans relâche ; et cette paix, si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe, est signée. Une charte constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume ; nous l’avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, nos prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice, suivant la différence des temps ; que c’est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l’extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l’ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l’administration publique, par différentes ordonnances dont rien encore n’avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l’exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en ont résulté : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une charte constitutionnelle était l’expression d’un besoin réel ; mais en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fier de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l’État, se sont réunis à des commissaires de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu’une constitution libre et monarchique devait remplir l’attente de l’Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu’instruits par l’expérience, ils seraient convaincus que l’autorité suprême peut seule donner aux institutions qu’elle établit, la force, la permanence et la majesté sont elle est elle-même revêtue ; qu’ainsi, lorsque la sagesse des rois s’accorde librement avec le vœu des peuples, une charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que, quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n’est pas moins en danger que le trône même.

Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.

Nous avons remplacé la Chambre des députés ces anciennes assemblées des champs de Mars et de Mai, et ces chambres du tiers état, qui ont si souvent donné tout à la fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l’autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu’on pût les effacer de l’histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n’avons su répondre à l’amour dont nous recevons tant de témoignages, qu’en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le vœu le plus cher à notre cœur, c’est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l’acte solennel que nous leur accordons aujourd’hui.

Sûr de nos intentions, fort de notre conscience, nous nous engageons, devant l’assemblée qui nous écoute, à être fidèle à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d’en jurer le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations.

À ces causes,
Nous avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons fait concession et octroi à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la charte constitutionnelle qui suit.

Art. 1er. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d’ailleurs leurs titres et leurs rangs.
2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l’État.
3. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires. [...]
5. Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.
6. Cependant, la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l’État. [...]
11. Toutes recherches des opinions et vote émis jusqu’à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens. [...]
13. La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
14. Le roi est le chef suprême de l’État, commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d’administration publique, et fait les règlements et ordonnances pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État.
15. La puissance législative s’exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.
16. Le roi propose la loi. [...]
18. Toute loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux Chambres. [...]
22. Le roi seul sanctionne et promulgue les lois. [...]
27. La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur nombre est illimité : il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté. [...]
33. La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l’État qui seront définis par la loi. [...]
37. Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième. [...]
40. les électeurs qui concourent à la nomination des députés ne peuvent avoir droit de suffrage, s’ils ne paient une contribution directe de trois cents francs, et s’ils ont moins de trente ans. [...]
57. Toute justice émane du roi. Elle s’administre en son nom par des juges qu’il nomme et qu’il institue. [...]
71. La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur accorder que des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société. [...]

Nous ordonnons que la présente Charte constitutionnelle, mise sous les yeux du Sénat et du Corps législatif, conformément à notre proclamation du 2 mai, sera envoyée incontinent à la Chambre des pairs et à celle des députés.
Donné à Paris, l’an de grâce 1814, et de notre règne le dix-neuvième.
Louis

Charte constitutionnelle du 4 juin 1814. → https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/charte-constitutionnelle-du-4-juin-1814


Documents joints

La Charte de 1814