Doc. – Le manifeste à l’Europe de Lamartine
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Consigne : après avoir présenté le document, votre analyse doit montrer que le nouveau gouvernement de 1848 doit gérer l’héritage révolutionnaire de la République française face à une Europe majoritairement monarchique.
• Méthode : l’analyse de document(s)
Monsieur,
Vous connaissez les événements de Paris, la victoire du peuple, son héroïsme, sa modération, son apaisement, l’ordre rétabli par le concours de tous les citoyens, comme si, dans cet interrègne des pouvoirs visibles, la raison générale était à elle seule le Gouvernement de la France.La révolution française vient d’entrer ainsi dans sa période définitive. La France est République : la République française n’a pas besoin d’être reconnue pour exister. Elle est de droit naturel, elle est de droit national. Elle est la volonté d’une grand peuple qui ne demande son titre qu’à lui-même. Cependant, la République française désirant entrer dans la famille des gouvernements institués comme une puissance régulière, et non comme un phénomène perturbateur de l’ordre européen, il est convenable que vous fassiez promptement connaître au gouvernement près duquel vous êtes accrédité les principes et les tendances qui dirigeront désormais la politique extérieure du Gouvernement français.
La proclamation de la République française n’est un acte d’agression contre aucune forme de gouvernement dans le monde. Les formes formes de gouvernement ont des diversités aussi légitimes que les diversités de caractère, de situation géographique et de développement intellectuel, moral et matériel chez les peuples. Les nations ont, comme les individus, des âges différents. Les principes qui les régissent ont des phases successives. Les gouvernements monarchiques, aristocratiques, constitutionnels, républicains, sont l’expression de ces différents degrés de maturité du génie des peuples. Ils demandent plus de liberté à mesure qu’ils se sentent capables d’en supporter davantage ; ils demandent plus d’égalité et de démocratie à mesure qu’ils sont inspirés par plus de justice et d’amour pour le peuple. Question de temps. Un peuple se perd en devançant l’heure de cette maturité, comme il se déshonore en la laissant échapper sans la saisir. La monarchie et la république ne sont pas, aux yeux des véritables hommes d’État, des principes absolus qui se combattent à mort ; ce sont des faits qui se contrastent et qui peuvent vivre face à face, en se comprenant et en se respectant.
La guerre n’est donc pas le principe de la République française, comme elle en devint la fatale et glorieuse nécessité en 1792. Entre 1792 et 1848, il y a un demi-siècle. Revenir, après un demi-siècle, au principe de 1792 ou au principe de conquête de l’empire, ce ne serait pas avancer, ce serait rétrograder dans le temps. La révolution d’hier est un pas en avant, non en arrière. Le monde et nous, nous voulons marcher à la fraternité et à la paix.
Si la situation de la République française, en 1792, expliquait la guerre, les différences qui existent entre cette époque de notre histoire et l’époque où nous sommes expliquent la paix. […]
La République française n’intentera donc la guerre à personne. Elle n’a pas besoin de dire qu’elle l’acceptera, si on pose des conditions de guerre au peuple français. […]
Ainsi, nous le disons hautement : si l’heure de la reconstruction de quelques nationalités opprimées en Europe, ou ailleurs, nous paraissait avoir sonné dans les décrets de la Providence ; si la Suisse, notre fidèle alliée depuis François Ier, était contrainte ou menacée dans le mouvement de croissance qu’elle opère chez elle pour prêter une force de plus au faisceau des gouvernements démocratiques ; si les États indépendants de l’Italie étaient envahis ; si l’on imposait des limites ou des obstacles à leurs transformations intérieures ; si on leur contestait à main armée le droit de s’allier entre eux pour consolider une patrie italienne, la République française se croirait en droit d’armer elle-même pour protéger ces mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples. […]
Nous désirons, pour l’humanité, que la paix soit conservée. Nous l’espérons même. […]
Recevez, monsieur, l’assurance de ma considération très-distinguée.
Alphonse de Lamartine, Manifeste à l’Europe : circulaire du ministre des Affaires étrangères aux agents diplomatiques de la République française, Paris, Pagnerre, 1848, 16 p. → http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56090467