Doc. – Le peintre défendant les arbres

lettre de Théodore Rousseau pour défendre Fontainebleau
mercredi 26 juin 2024
par  Julien Daget

Consigne – En analysant le document ci-dessous et en vous appuyant sur vos connaissances, vous montrerez quels sont les conflits d’usage concernant cette forêt française, toujours d’actualité.

Monseigneur,
Permettez moi de venir au nom de l’art vous demander justice contre des faits qui depuis 30 ans attristent profondément les artistes. Je veux parler, des déboisement qui se commettent par l’administration elle-même dans la foret de Fontainebleau. Cette foret la plus antique de la France, est aussi la plus remarquable par les sites et par son caractère tout particulier de beauté et de grandeur.
Elle est le seul souvenir vivant qui nous reste des tems héroïques de la Patrie depuis Charlemagne jusqu’à Napoléon. Pour les artistes qui étudient la nature, elle est est ce qu’est pour d’autres les modèles qui ont été laissés par Michelange, Raphael, Corrège, Rembrant et tous les grands maîtres des tems passés.
Elle a donné à l’art des artistes comme… Lantara, Michalon, Bruandet, Bertin, Corot, Th. Rousseau, Cabat, et Troyon.
Et cependant sous l’action incessante d’une administration mal comprise elle tend chaque jour à dépérir, et je n’exagère pas en affirmant qu’avant 10 ans elle aura complètement perdu tout son caractère d’antiquité et de grandeur, et ne présentera plus qu’un aspect bannal, et monotone, si une autorité puissante n’arrête l’administration qui la régit.
Sous le dernier règne des plaintes se sont bien souvent élevées contre la gestion des forets de l’État et les artistes ont surtout déploré les abattages systématiques, les coupes sombres, et les plantations inintelligentes qui se fesaient à Fontainebleau. Ces plaintes n’ont jamais été écoutées.
Sous votre gouvernement, Monseigneur, ce système se continue, l’administration des forêts abat sans distinction les arbres que leur antiquité, leur souvenir et leur beauté artistique devraient faire respecter, et dans d’autres régions de la forêt de la Seine a profusion des quantités innombrables de Pins du Nord qui enlèvent à cette foret son vieux type gaulois et nous donnerait bientôt le spectacle dur et triste des forets de la Russie.
D’un autre côté l’administration tolère des dévastations d’une autre nature. Un habitant de Fontainebleau, M Denecourt, vieillard maniaque épris à contre sens des beautés de la foret s’en va quêter de tous côtés des subsides, et les emploie à tracer des sentiers inutiles, à élever des belvéders ridicules, à construire des murs de gazon, à couvrir de peinture, de numéros, et d’inscription les plus beaux arbres de la foret qu’il dépouille et déshonore.
Ainsi cette malheureuse foret tombe sous l’action et de ceux qui sont chargés de la conserver et de celui qui s’arroge le droit de l’embellir. L’art, Monseigneur, fait chaque année sous les coups de ces deux agents de destruction des pertes irréparables, et je puis affirmer que l’État ne retire, et ne retirera dans l’avenir aucun bénéfice de ces déplorables transformations.

Je n’ai point la prétention de demander la réforme du système forestier à Fontainebleau. Je sais que cette foret doit sonner aux finances un produit que de sages aménagements peuvent facilement faire rendre, mais je demande au moins que l’art ait sa part sans cette grande exploitation. Je demande que les lieux qui sont pour les artistes des sujets d’étude, des modèles reconnus de compositions et de tableaux, soient mis hors d’atteinte de l’administration forestière qui les gère mal, et de l’horreur absurde qui les exploite.
Ces contrées sont d’une importance insignifiante si on les compare à l’étendue de la foret qui est de … hectares. Elles n’ont pas une superficie supérieure à … hectares. Je demande donc pour l’étude et le besoin des artistes qu’il ne soit plus touché à la … partie de la foret de Fontainebleau. Ces contrai sont
1er Le Bas Bréau, la plus vieille futaie de la foret dont les arbres sont tellement anciens et vermoulus que leur vente ne produit pas les frais d’abatage.
2e Les gorges d’Apremont et une portion des monts Girard, qui disparaitront bientôt sous une couche épaisse de pins verts dont les premières pousses apparaissent déjà dans toute leur étendue. Je demande leur disparition.
3e Le plateau de Belle Croix, contrée sauvage parsemé de chenes antiques parmi lesquels se trouve le chene Napoléon et le Clovis.
4e La gorge aux Loups et ses alentours, déjà attaqués par les travaux ridicules de M Denecourt.

Je vous demande protection, Monseigneur, pour ces vieux arbres qui sont pour les artistes la Source ou ils puisent leurs inspirations, leur joie, et leur avenir, et qui pour touts les visiteurs sont des souvenirs vénérables des ages passés.
Je vous demande d’ordonner qu’on laisse mourir tranquillement en paix ces témoins des tems druidiques, de Charlemagne, de St Louis, de Louis 12 et de Napoléon.
Si on reconnaît que les monuments des hommes, que les vieilles églises, les vieux palais doivent être conservés avec respect ; ne serait-il pas aussi raisonnable d’ordonner que les plus sublimes monuments de la nature aient comme eux une tranquille fin.
Si vous voulez bien accueillir ma réclamation, j’oserai vous prier, Monseigneur, de décider que cette affaire se traitera en présence d’un ou de plusieurs artistes, mais de ceux qui aiment la foret et vivent avec elle, et surtout que ma réclamation ne soit pas renvoyée au ministère des Finances lequel chargera naturellement comme cela s’est toujours vu, un financier, ou un forestier d’étudier cette question, qui jusqu’à présent a toujours été jugée par l’administration des forets et en sa faveur.
Je n’ai pas voulu donner à ces plaintes un caractère collectif en les fesant signer par ceux qui déplorent les abus que je vous ai signalés mais je vous affirme, Monseigneur, que c’est au nom de tous les artistes que j’ai l’honneur de vous parler, et qu’en vous adressant cette réclamation je n’ai fait qu’exprimer leur véritables pensées et leur vœux constans.
En sauvant ces vieux arbres, Monseigneur, de la cognée qui chaque année les décime, en rendant à ces contrées leur destination première, vous aurez une fois de plus, permettez moi de le dire bien mérité des arts et des artistes.

Lettre (probablement le brouillon) du peintre Théodore Rousseau au ministre de l’Intérieur Charles de Morny, destinée à être présentée en pétition à l’empereur Napoléon III, 1852. → https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020512598


Documents joints

Le peintre défendant les vieux arbres