Testament de Pinochet

le point de vue du dictateur en 2004
jeudi 3 octobre 2019
par  Julien Daget

Texte rédigée en 2004 et publiée le 24 décembre 2006.

Message à mes compatriotes, à diffuser à mon décès

Chiliens, sans exception :

Souvent, je vous ai transmis ma pensée pendant ma vie publique. Je me souviens spécialement de ce que je vous communiquais lors de ma captivité à Londres. Maintenant, avec effort, j’ai tissé les pensées suivantes qui surgissent du plus profond de mes sentiments et convictions.

Je veux prendre congé de vous avec beaucoup d’affection. Je comprends que cela paraîtra incompréhensible à un très grand nombre d’entre vous, mais c’est ainsi. Dans mon cœur, je n’ai pas laissé de place à la haine. J’ai parcouru beaucoup d’années et je comprends ce que sont l’amour et la douleur. J’ai choisi la carrière militaire par amour pour la Patrie. Je l’ai maintenu sans altération depuis le premier jour de mon entrée à l’École militaire et, maintenant, m’en allant de ce monde, ce sentiment emplit entièrement mon esprit. J’aime la patrie ; je vous aime tous. Par amour, on peut faire beaucoup de choses bonnes et mauvaises. Justes et erronées. Je n’ai jamais imaginé entrer dans la grande Histoire de mon pays, mais cela s’est produit. Le cours de la vie publique de celui-ci se transforma, passant du « au Chili, il ne se passe jamais rien » à des événements dramatiques précipités. Je ne veux pas entrer dans des analyses plus larges, propres d’historiens, mais le faire tout de même en ce qui concerne des affirmations professionnelles et humaines qui sont celles qu’il m’intéresse de vous communiquer.

Moi, comme militaire, j’ai perçu la très grave et complexe situation qui se dessinait au cours de la décennie des années soixante-dix. Personne ne pourra réfuter que le monde entrait dans une confrontation globale, idéologique et militaire qu’on a appelée la « guerre froide ». Chaque jour, alors que cette « guerre » se réchauffait davantage, les conflits grandissaient et devenaient plus complexes, en particulier aux yeux d’un observateur militaire. Les angles de cette guerre s’élargissaient de jour en jour et embrassaient la quasi totalité de la vie publique et privée des gens. Cette fatalité si tragique d’une guerre, ou toi ou moi, croissait et exerçait sa pression sur le commun des hommes, avec le fait aggravant que le dilemme s’étendait à toute la communauté internationale, comme une guerre totale et sans quartier. Un militaire ne pouvait se soustraire à ce panorama, car il était très sombre, et devait se préparer au meilleur et au pire, équation clef d’une stratégie professionnelle.

Le Chili se mit à brûler et en était réduit, objectivement sans échappatoire, d’après moi, à trois possibilités (que le comprennent les jeunes, nés après la crise) :
• une guerre civile, sans quartier, « de fenêtre à fenêtre », avec des milliers et des milliers de morts ;
• une imposition d’une dictature dite du prolétariat, idéologique, marxiste-léniniste, avec la perte totale de la liberté politique et de l’État de droit ; et
• une réaction conjointe de civils et de militaires pour éliminer de manière tranchante les possibilités précédentes.

Personne ne discute que l’immense majorité de la population s’inclinait pour cette dernière alternative.

Chiliens, amis sans exclusion

Une guerre internationale ou civile est quelque chose d’atroce. Le pire qui puisse arriver à une société. La guerre, pour cette raison, doit être évitée jusqu’à la limite du possible. Les adultes qui ont vécu l’époque du pronunciamiento militaire se sont exactement rendus compte que la seule option réaliste était ce dernier. Il a fallu agir pour couvrir efficacement tous les angles d’une vaste confrontation, parce qu’explicitement les partis de gouvernement soutenaient que la voie armée était la seule façon d’atteindre le pouvoir, à court ou long terme. Je crois que jamais la menace d’une guerre civile n’avait été brandie de manière si frappante dans notre pays ou dans une autre partie du monde. Si on ajoute à ce qui précède l’infinité de ratifications de fait et rhétoriques qui confirmaient de telles intentions, l’intervention militaire en devient plus explicable. Il fallait donc agir avec la plus grande rigueur et de manière soutenue pour conjurer toute extension du conflit qui s’annonçait. Si on ne procédait pas ainsi, l’action militaire se serait terminée sur un fiasco et cela aurait provoqué au sein du peuple et pour de nombreuses années des conséquences négatives extrêmement douloureuses.

En 73, vu les dites caractéristiques de l’adversaire, il fut nécessaire d’employer diverses procédures de contrôle militaire, comme la réclusion transitoire, des exils autorisés, fusiller après jugement militaire. Il est très possible qu’on ne sache jamais vraiment comment et pourquoi de nombreuses morts et les disparitions de corps se sont produites. On ne peut pas déterminer avec simplicité la responsabilité d’une infinité d’abus, car il n’y eut pas de plan institutionnel pour les encadrer. Les conflits graves sont ainsi et seront toujours ainsi : source d’abus et d’exagérations. Mais comment tant de gens n’ont-ils pas voulu ou pu comprendre l’extrême gravité de la menace alors que tout le contexte national et international confirmait son existence ? Dans les affrontements au cours de l’Histoire, leur résultat quant aux pertes de vie et à la déshumanisation font partie de leur définition. Ce qui précède n’est pas une recherche de circonstances atténuantes aux excès, mais vise à rappeler leur présence inévitable.

Moi, comme président de la République et commandant en chef de l’Armée, j’ai agi comme je vous l’ai dit, avec rigueur, mais avec beaucoup plus de flexibilité qu’on m’en reconnaît, ce pourquoi je me référais toujours à une « dictadouce ». Tant que le fanatisme idéologique et armé constituait un danger pour la stabilité, il n’était pas possible de baisser les mains.

Chiliens tous :

Comme je souhaite que n’eût pas été nécessaire l’action du 11 septembre 1973 ! Comme j’aurais voulu que l’idéologie marxiste-léniniste ne s’interpose pas dans notre vie de la Patrie ! Comme j’aurais souhaité que le président Salvador Allende n’incube pas dans sa doctrine l’intention de transformer notre Patrie en une pièce de plus de l’échiquier dictatorial marxiste ! Les guerres apportent des douleurs très difficiles à guérir. Les parents et amis de nos compatriotes tombés lors de l’affrontement fratricide auront pour toujours un souvenir noir de ce qui s’est passé. Je vais à la messe et je communie. Je ne cesse jamais de penser aux blessures ouvertes. Comme j’aimerais marcher dans les rues, saluant, consolant, aidant… Mon destin est une sorte de bannissement et de solitude que je n’aurais jamais imaginés et encore moins souhaités.

Pour terminer, je déclare en toute sincérité être fier de l’action énorme qu’il fallut effectuer pour empêcher que le marxisme-léninisme ne parvienne au pouvoir total et aussi pour que ma chère Patrie soit une « grande nation », comme le disait la devise qui inspira dès le début la junte de gouvernement. De cela, je ne douterai jamais, sans la moindre hésitation. En cas de répétition de l’expérience, j’aurais néanmoins souhaité davantage de sagesse.

Augusto Pinochet Ugarte
capitaine général
ex-président de la République
ex-sénateur de la République
ex-commandant en chef de l’Armée

http://www.latinreporters.com/chiliPinochetLettrePosthume.pdf
http://www.latinreporters.com/chilipol26122006.html (traduction)