Doc. : Assassin’s Creed Unity
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Le 13 novembre 2014, le jeu vidéo Assassin’s Creed Unity est mis en vente par la société Ubisoft. Ce jeu, ou plutôt une de ses bande-annonces [1], a fait réagir l’homme politique Jean-Luc Mélenchon, lui reprochant sa façon de présenter la Révolution française. Sa réaction a donné lieu à une petite polémique dans les médias, ainsi qu’à une réponse de la part de deux historiens [2].
Consigne : en analysant (en expliquant) le document, vous montrerez que l’histoire de la Révolution est affaire d’interprétation des faits, chaque tendance politique ayant son point de vue sur les évènements de cette période et sur les personnages historiques.
• Méthode : l’analyse de document(s)
Qui connait les entreprises qui réalisent un jeu de cette nature sait qu’elles mettent un soin fantastique à leur préparation historique et contextuelle. La reconstitution du Paris de la Révolution dans le jeu qui nous occupe est considérée par mes amis historiens comme un pur tour de force.
Dans ces conditions, comment espère-t-on me faire croire à la neutralité purement ludique du jeu ? Il y a un parti pris idéologique. Le nieriez-vous si vous veniez à apprendre que tel ou tel personnage clef de cette entreprise ou de la réalisation a des liens personnels avec l’extrême droite ? Non, vous seriez troublés, n’est-ce pas ? Mais pourquoi le seriez- vous ? Parce que le rapport entre ces personnes bien réelles et la trame ludique virtuelle exposée vous sauterait aux yeux. Je vous propose de vous dispenser de cette preuve. Contentez-vous de voir ce qui est dit, raconté et mis en scène. S’agit-il de découvrir qui complote contre la vie de Robespierre ? Où est l’armoire de fer secrète où Louis XVI et Marie Antoinette cachent leurs correspondances avec le roi d’Autriche pour lui suggérer d’envahir la France ? S’agit-il de découvrir des preuves des complicités dans le parti révolutionnaire dont a bénéficié le chevalier de Maison Rouge qui tenta de faire s’enfuir la reine ? Cherche-t-on les preuves de l’argent qui a circulé pour convaincre de voter la guerre alors que Robespierre défendait le contraire de peur que le régime républicain ne s’effondre, soit sous les coups de l’envahisseur, soit sous la botte d’un général ? Qui a tué Lepelletier de Saint-Fargeau, ancêtre de monsieur Jean d’Ormesson, notre actuel académicien, ami de Robespierre et rapporteur sur l’éducation ? Qui a payé Vadier, président du comité de sureté générale, élu de l’Ariège, qui se vantait de « faire tomber les têtes comme des tuiles », pour monter le complot contre Robespierre et faire croire qu’il agissait sur les suggestions d’une diseuse de bonne aventure, Catherine Théot, dite « la mère de dieu » ?
Je pourrai en écrire des pages où l’on verrait que l’époque permet des milliers d’enquêtes où les grands hommes (et femmes) de la Révolution sont pris en tenaille entre des « exagérés » violents et le parti monarchiste des traitres à la patrie. On ne cherche pas à savoir combien Barras, « le prince des corrompus », Carrier, l’homme qui noyait les prêtres à Nantes, ou Fouché, celui qui décida de raser Lyon, ont payé pour former une majorité qui décrète l’arrestation de Robespierre le jour où il avait prévu leur élimination ? Ce n’est pas cette trame-là qui est proposée. Et ce n’est pas sans raison. Les gentils, ici, ce sont la reine, cette infâme traitresse et corruptrice, le roi, ce mollasson vendu, les aristocrates agents des Autrichiens, des Anglais et de n’importe qui qui soit contre le peuple, voilà les héros, subliminaux ou bien déclaré. Il suffit de voir le trailer, écrit par un débile américain, pour comprendre le mal que fait ce genre de scénario à l’image de la France populaire et historique ! Que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et donc de l’égalité en droit de tout être humain, soit présentée comme l’œuvre de brutes sanguinaires et absurdes ne peut-être un hasard ludique. Aux gamers je leur dis : cette version de l’Histoire vous manipule. Que ça ne vous empêche pas de jouer ! Au contraire, ça rajoute au jeu. Essayez de repérer les manipulations en cours de route… Un bon début est de visionner ce bref résumé des bobards de la légende noire de Robespierre.
Et voici un autre jeu. À vos heures libres, essayez de savoir « qui est qui », politiquement, parmi les décideurs de ce jeu. Ce n’est pas trop dur à éclaircir, croyez moi. Et ça vous explique la violence de certaines réactions contre moi parce que j’ai dit mon accord avec la critique qu’Alexis Corbière [3], le premier, a fait de ce jeu. Là non plus, il n’y a pas de débiles qui jouent sans cervelle. Ce sont des militants politiques qui font exprès de confondre la mise en cause d’un scénario avec la mise en cause du jeu vidéo, parce qu’ils considèrent les autres gamers comme des gens incapables de faire la différence ! Quant aux historiens qui minaudent, demandez aussi lesquels travaillent pour les sociétés de jeu et pour combien. Et je m’empresse de dire que je souhaite beaucoup la participation des historiens à ces scénarios car leur implication permet qu’à la fin quelque chose de vrais passe du virtuel au réel par l’intermédiaire des temps de cerveau disponible. Quant à moi je n’en fait pas mystère : l’occasion est bonne pour faire naître, dans une bataille culturelle, des consciences politiques.
Jean-Luc Mélenchon, « Le lendemain et même ensuite », 17 novembre 2014.
→ http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/11/17/le-lendemain-et-meme-ensuite/#more-21168
[1] En juin et juillet 2014 sortent les premières bandes-annonces basées sur des images du jeu, qui réinterprétent l’histoire à leur façon : par exemples https://www.youtube.com/watch?v=xzCEdSKMkdU (sur la prise de la Bastille) ou https://www.youtube.com/watch?v=Begbi0PG3NU (sur la Terreur). La bande-annonce incriminée est mise en ligne à la fin juillet, sous forme d’un dessin animé plutôt gore, cf. https://www.youtube.com/watch?v=noadTYzXY6o. Le jeu est d’ailleurs classé « pour adulte » (PEGI 18) à cause de ses scènes de violence.
[2] Jean-Clément Martin et Laurent Turcot, Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo, Paris, éditions Vendémiaire, 2015, 138 p.
[3] Alexis Corbière est le porte-parole de Jean-Luc Mélenchon au sein du Parti de gauche.