Magellan part à l’ouest
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Et voila que soudain ce petit capitaine inconnu, Magellan, se lève et déclare avec une assurance absolue : il existe un passage conduisant de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Je le connais, je sais l’endroit exact où il se trouve. Donnez-moi une flotte et je vous le montrerai et je ferai le tour de la terre en allant de l’est vers l’ouest.
Stefan Zweig (trad. Alzir Hella), Magellan [Magellan : Der Mann und seine Tat], Paris, éd. Grasset, 1938.
En 1519, une expédition espagnole pris la mer, sous le commandement du capitaine-général Fernand de Magellan (Fernão de Magalhães en portugais). Sa mission était de trouver un passage pour que les Espagnols rejoignent par l’ouest les îles aux épices (les Moluques), alors que les Portugais contrôlaient la route par l’est.
Sources :
• Jorge Reinel (copie d’Otto Progel en 1843), vers 1519, portulan enluminé sur parchemin, 65 x 124 cm.
• Maximilianus Transylvanus, De Moluccis Insulis [Maximiliani Transyluani Caesaris a secretis epistola, de admirabili & novissima hispanoru in orientem navigatione, que auriae, & nulli prius accessae regiones sunt, cum ipsis etia moluccis insulis], Cologne, janvier 1523.
• Antonio Pigafetta, Premier voyage autour du monde par le Chevalier Pigafetta sur l’escadre de Magellan, pendant les années 1519, 20, 21 et 22, Paris, H.-J. Jansen Paris, 1801 [première édition en 1524].
• Stefan Zweig (trad. Alzir Hella), Magellan [Magellan : Der Mann und seine Tat], Paris, éd. Grasset, 1938.
• Tim Joyner, Magellan, Camden, International Marine, 1992.
• Xavier de Castro, Jocelyne Hamon et Luís Filipe Thomaz, Le voyage de Magellan, 1519-1522 : la relation d’Antonio Pigafetta & autres témoignages, Paris, Chandeigne, 2007.
Vous trouverez ci-dessous un kmz (qui nécessite d’avoir installé Google Earth) géolocalisant les étapes du voyage d’exploration.
10 août 1519 : départ de Séville de 275 hommes sur cinq navires.
20 septembre 1519 : départ de Sanlúcar de Barrameda, l’avant-port de Séville à l’embouchure du Quadalquivir.
26 septembre au 3 octobre 1519 : première escale à Santa Cruz de Tenerife, possession espagnole.
Octobre 1519 : passage entre le cap Vert et les îles (possessions portugaises).
Octobre-novembre 1519 : descente de la côte africaine au large du Sierra Leone, dans l’espoir d’attraper les alizés. Échec : quinze jours de calme plat et d’orages dans le pot-au-noir.
20 novembre 1519 : passage de l’équateur.
29 novembre 1519 : atterrage à ponta de Baleia (archipel des Abrolhos).
13 au 26 décembre 1519 : escale à bahia de Santa Lucia (l’actuelle baie de Guanabara).
12 janvier 1520 : exploration du Rio de Solis (l’actuel Rio de la Plata).
24 février 1520 : exploration du golfe San Matías.
31 mars 1520 : hivernage de cinq mois au puerto San Julián.
2 avril 1520 : mutinerie de Pâques, cinq morts : Juan de Eloriaga (pilote du San Antonio, tué par les mutins), Luis de Mendoza (capitaine du Victoria, mutin tué), Gaspar Quesada (capitaine de la Concepción, mutin exécuté par décapitation puis écartelé), Juan de Cartagena (capitaine du San Antonio, mutin maronné) et Padre Sanchez de la Reina (prêtre mutin et maronné). Alvaro de Mesquita est nommé commandant du San Antonio et Duarte Barbosa du Victoria.
3 mai 1520 : naufrage du Santiago lors d’une reconnaissance au sud de l’embouchure du Río Santa Cruz.
juillet 1520 : capture d’un Patagon (patagao, « grands pieds »).
26 août au 18 octobre 1520 : deux mois de plus d’hivernage dans l’estuaire du rio de Santa Cruz.
21 octobre 1520 : passage du cabo Vírgenes.
1er novembre 1520 : baptême de l’Estreito de Todos los Santos (cf. plan XVIIIe siècle du détroit de Magellan).
8 novembre 1520 : désertion du San Antonio, commandé par Esteban Gómez (qui arrive à Séville le 6 mai 1521), alors qu’il est envoyé explorer le canal Magdalena.
découverte du cabo Deseado de loin ; quatre jours de mouillage dans la « rivière des Sardines » en attendant le San Antonio, pêche et cueillette d’herbes (Apium dulce, céleri sauvage, et Cochlearia, une cochléaire)
28 novembre 1520 : passage du cabo Victoria (le « cap de la Victoire »), débouché sur la Mar Pacifico.
21 ou 24 janvier 1521 : isla de San Pablo (atoll de Puka Puka au Tuamotu ?).
4 février 1521 : islas de los Tiburones (île du Millénaire ou Vostok ou Flint ?).
13 février 1521 : passage de l’équateur à 122° O de la ligne de démarcation (elle-même 30° à l’ouest du premier méridien). 172° O ?
6 mars 1521 : islas de los Ladrones (îles Mariannes, notamment Guam).
16 mars 1521 : Homonhon (au sud de Samar).
28 mars 1521 : Limasawa. Massana selon Pigafetta
Gatigan
7 avril 1521 : Cebu.
27 avril 1521 : combat de l’île de Mactan, faisant huit morts, dont Magellan. Duarte Barbosa et João Serrão prennent le commandement.
1er mai 1521 : banquet empoissonné du rajah de Cebu : 29 morts, dont Barbosa et Serrão. Le pilote Juan Carvalho prend le commandement, vagabondant dans la mer de Sulu, faisant le pirate.
2 mai 1521 : incendie de la Conception devant l’île de Bohol ; il reste 115 hommes sur deux navires.
escale à Butuan, ville du Mindanao, près de la baie du Chipit
île de Cagayan 7° 30’ N.
jusqu’au 21 juin 1521 : Palawan.
mi-juillet (jusqu’au 29) : Brunei.
septembre 1521 pendant 42 jours : radoub entre le cap nord de Bornéo et l’île de Cimbonbon ; commandement collégial par Gonzalo Gómez de Espinosa (capitaine du Trinidad), Juan Sebastián Elcano (capitaine du Victoria) et le Poncero (pilote).
île de Cagayan et port de Chipit, Jolo et Basilan.
Butuan, Calagan et Mindanao 6° 7’ N.
port entre les îles de Sarangani (Saranghani) 5° 9’ N et Candinghar.
Passage par Sanghir (Sula Besi, au sud-est d’Obi), Lifamatola et Buru.
8 novembre 1521 : arrivée à Tidore (îles Moluques).
21 décembre 1521 : départ du Victoria, avec 47 Européens et 13 Indiens commandés par Del Cano, partant vers l’ouest, avec 700 quintaux de girofle et muscade à bord. Le Trinidad et 51 hommes commandés par Gomez de Espinosa partent le 6 avril (après réparations) vers l’est et Panama. Faisant face aux vents du nord-est (mousson), ils font escales à l’ouest de Gilolo (l’actuelle Halmahera) et au nord des Mariannes le 11 juin, mais la faim les fait revenir en juillet sur Gilolo (33 morts), d’où leur reddition à l’escadre portugaise d’Antonio de Brito qui les amènent à Ternate, où le navire fini par couler lors d’une tempête. Seuls quatre survivants, dont Gómez de Espinosa, retournent en Espagne en 1525.
Passage par les îles Sula (Sulach, Xulla ou Xoula) et Buru (Boëro).
29 décembre 1521 : ?Ambon ou Amboina.
Bandan (îles Banda).
15 jours jusqu’au 25 janvier : Mallua (Alor) pour radouber.
25 janvier 1522 au 13 février : Timor 10° S et 174° 30’ de la ligne de démarcation
18 mars 1522 : île Amsterdam.
8 mai 1522 : escale décevante (pas de nourriture) sur la côte orientale de l’Afrique (au nord de la Keiskamma river).
16 mai 1522 : une tempête arrache la misaine et fend le grand mât.
19 mai 1522 : passage du cabo Tormentoso.
9 juillet 1522 : escale aux îles du Cap-Vert, à Santiago, se faisant passer pour un navire revenant d’Amérique maltraité par une tempête. Abandon de 12 hommes pour échapper aux Portugais.
6 septembre 1522 : retour du Victoria à Sanlúcar de Barrameda, avec 520 quintaux d’épices à bord (26 tonnes). Il reste 18 Européens et trois indigènes.
8 septembre 1522 : arrivée à Séville.
L’an 1519 j’étois en Espagne à la cour de Charles-Quint, roi des Romains, avec monseigneur Chiericato [...] Or, comme par les livres que j’avois lus, et par les entretiens que j’avois eus avec les savans qui fréquentoient la maison de ce prélat, je savois qu’en navigant sur l’Océan, on y voit des choses merveilleuses, je me déterminai à m’assurer par mes propres yeux de la vérité de tout ce qu’on en racontoit, afin de pouvoir faire aux autres le récit de mon voyage, tant pour les amuses, que pour leur être utile, et me faire, en même tems, un nom qui fut porté à la postérité.
L’occasion s’en présenta bientôt. J’appris qu’on venoit d’équiper à Séville une escadre de cinq vaisseaux destinée à aller faire la découverte des îles Moluques, d’où nous viennent les épiceries, et que don Ferdinand Magellan, gentilhomme portugais [...] qui déjà plus d’une fois avoit parcouru l’Océan avec gloire, étoit nommé capitaine-général de cette expédition.
Antonio Pigafetta, Premier voyage autour du monde, « Épitre dédicatoire », p. 2-3.
Le mercredi, 28 novembre [1520], nous débouquâmes du détroit pour entrer dans la grande mer, à laquelle nous donnâmes ensuite le nom de mer Pacifique, dans laquelle nous naviguâmes pendant le cours de trois mois et vingt jours, sans goûter d’aucune nourriture fraiche. Le biscuit que nous mangions n’étoit plus du pain, mais une poussière mêlée de vers qui en avoient dévoré toute la substance, et qui de plus étoit d’une puanteur insupportable, étant impregnée d’urine de souris. L’eau que nous étions obligés de boire étoit également putride et puante. Nous fûmes même contraints, pour ne pas mourir de faim, de manger des morceaux de cuirs de bœuf dont on avoit recouvert la grande vergue pour empêcher que le bois ne rongeât les cordes. [...] Souvent même nous avons été réduits à nous nourrir de sciure de bois ; et les souris même, si dégoûtantes pour l’homme, étoient devenues un mêts si recherché, qu’on les payoit jusqu’à un demi-ducat la pièce.
Ce n’étoit pas là tout encore. Notre plus grand malheur étoit de nous voir attaqués d’une espèce de maladie par laquelle les gencives se gonfloient au point de surmonter les dents tant de la mâchoire supérieure que de l’inférieure, et ceux qui en étoient attaqués ne pouvoient prendre aucune nourriture. Dix-neuf d’entre nous en mourrurent [...]. Outre les morts nous avions vingt-cinq à trente matelots malades, qui souffroient des douleurs dans les bras, dans les jambes et dans quelques autres parties du corps ; mais ils en guérirent.
Antonio Pigafetta, Premier voyage autour du monde, p. 50-52.
Le roi [de Cebu] ayant promis à notre capitaine d’embrasser la religion chrétienne, on avoit fixé pour cette cérémonie le dimanche 14 avril [1521]. [...] Nous fûmes à terre au nombre de quarante, outre deux hommes armés de pied en cap qui précédoient la bannière royale. Au moment que nous mîmes pied à terre les vaisseaux firent une décharge de toute l’artillerie, ce qui ne laissa pas d’épouvanter les insulaires. [...]
Alors le capitaine fit dire au roi que parmi les autres avantages dont il alloit jouir en se faisant chrétien, il auroit celui de vaincre plus facilement ses ennemis. [...] Le capitaine promit de son côté au roi qu’à son retour en Espagne il reviendroit dans ces pays avec des forces beaucoup plus considérables, et qu’il le rendroit le plus puissant monarque de toutes ces îles ; récompense qu’il croyoit lui être due comme ayant le premier embrassé la religion chrétienne. Le roi levant les mains au ciel le remercia ; [...].
Après avoir planté une grande croix au milieu de la place, on publia un avis que quiconque vouloit embrasser le christianisme devoit détruire toutes ses idoles, et mettre la croix à leur place.
Antonio Pigafetta, Premier voyage autour du monde, p. 104-106.