Le sac de Rome en 1527
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Les tensions entre la papauté et l’empire et la rivalité entre l’Espagne et la France se disputant l’Italie, constituent la toile de fond du sac de Rome. Pour expliquer cet événement, il convient de remonter à tout le moins à l’époque de la victoire de Charles Quint sur François Ier à Pavie, où le monarque français est fait prisonnier. Une fois libéré, François Ier ne respecte pas les conditions du traité de Madrid qui devait mettre fin aux hostilités et crée la ligue de Cognac en alliance étroite avec Clément VII et certains princes italiens redoutant le pouvoir de Charles Quint. [...]
François Ier prend position autour de Milan, raison pour laquelle Charles Quint envoie des troupes dans la région auxquelles se joignent douze mille lansquenets envoyés par Ferdinand, roi des Romains. L’armée avance vers le sud sans rencontrer le moindre obstacle et le Pape se voit contraint de signer une trêve, au début de 1527. Pendant ce temps l’armée impériale composée de soldats professionnels, certains d’entre eux mercenaires luthériens, et d’aventuriers à l’appétit effréné, se soulève, car elle n’a pas reçu de salaires, et se livre à toutes sortes d’actes de sédition et de violence ; rien ni personne ne peut les arrêter devant la promesse du succulent sac de Rome. Le duc de Bourbon meurt lors des premières attaques, la soldatesque se livre, des mois durant, à un nombre illimité d’actes de violence et d’outrages. Le Pape parvient à s’enfuir au château Saint-Ange, alors assiégé.La ville entière, les églises, les hiérarchies ecclésiastiques et les civils se voient soumis à des cruautés sans limite ; assassinats, tortures, ventes de cardinaux et d’évêques comme esclaves, vols de reliques, actes sacrilèges non exempts d’une certaine sophistication, viols de femmes, tombes profanées. Tout est possible des jours, des semaines et des mois durant. Les demeures des grands seigneurs italiens, collaborateurs de l’Empereur, ou encore celles des Impériaux eux-mêmes n’échappent pas à l’assaut ou au paiement de sommes d’argent élevées. Ceux-là même qui étaient entrés dans Rome quelque temps auparavant, affamés et en haillons, portent maintenant les habits de papes et de cardinaux, se parent de reliques et de bijoux, se promènent aux bras de leurs concubines également parées de reliques volées et conduisent, ivres, des mules harnachées du même butin.
Les vols étaient tellement systématiques que jusqu’alors il n’y avait jamais eu de circulation d’or et de richesses aussi importante. Pourtant, l’armée ne pense pas avoir reçu son dû malgré les vols systématiques pratiqués dans la ville sainte. Les soldats continuent à réclamer leurs salaires impayés. Les bibliothèques, même celle du Vatican, sont également dévastées et les livres vendus. Des processions parodiques parcourent les rues au cri de Vivat Lutherus Pontifex ainsi que des lansquenets revêtus d’habits ecclésiastiques qui jouent à élire parmi eux un « pape Luther ». Mais lorsque l’armée de la Ligue entre dans Rome et ne veut plus en sortir, elle n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de commettre des méfaits. Les mois qui s’écoulent entre l’entrée dans Rome et la libération du Pape (6 décembre 1527) connaissent une situation politique extrêmement complexe. La situation sociale n’est pas moins dramatique. La cherté de la vie, la faim et la peste s’abattent sur Rome.
Ana Vian Herrero, « Roma Caput Mundi, Roma coda Mundi : la poésie du sac de Rome (1527) en Europe : pasquins et contrafacta », Camenae, n° 2, juin 2007.
→ http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/Ana_Vian.pdf
L’armée, renonçant au siège du fort [le château Saint-Ange], se divisa en plusieurs corps et se porta sur différents quartiers. Elle apercevait à son passage les pères et les mères de famille, placés au seuil des palais ou à l’entrée de leurs maisons, désolés de la perte de leurs enfants tués dans le combat, et consternés des malheurs qui menaçaient encore leur misérable cité. Ces infortunés, vêtus de leurs habits de deuil, offraient aux ennemis leurs maisons, leurs meubles, tous leurs biens, et fondant en larmes, demandaient d’une voix suppliante qu’on leur fît grâce de la vie. Ces prières touchantes ne pouvaient fléchir le cœur de ces féroces soldats ; comme si le son des tambours et des trompettes les eût animés au carnage, ils se jetèrent le fer à la main sur ces malheureux, en firent un massacre horrible, et sans distinction d’âge, de sexe, ni de lieu, égorgèrent tout ce qui s’offrait à leur vue. Les étrangers ne furent pas plus épargnés que les Romains, parce que les meurtriers tiraient indifféremment sur les uns ou les autres, sans autre motif que la soif du sang. Exaspérés par la mort de leur chef [le connétable de Bourbon], ils se souillèrent de cruautés dont l’histoire offre à peine d’autres exemples. Ne trouvant plus personnes qui leur fît résistance, ils devinrent en peu de temps complètement maîtres de cette antique et noble cité, où se trouvaient accumulés des trésors tels qu’ils eussent suffi à l’armée la plus avide de pillage. [...]
De leur côté, ils [les troupes allemandes] se mirent à arrêter les passants ou les Romains qu’ils trouvaient sur le seuil de leurs portes et qui leur demandaient merci ; ils les contraignaient à leur ouvrir leurs appartements, d’où ils emportaient ensuite tout ce qui était à leur convenance.
Ils ne se bornèrent pas à ces vols ; ils violèrent indifféremment toutes les femmes qu’ils rencontraient. [...]
Les maisons particulières n’étaient pas le seul théâtre de ces scènes abominables ; elles se passaient encore dans les temples saints, dans les chapelles consacrées à Dieu, où des dames et demoiselles de tout rang, jetant des cris perçants et fondant en larmes, s’étaient réfugiés, pleines d’espérance dans la protection divine. Maintenant aucune force humaine ne pouvait les mettre à l’abri du danger. Elles y furent découvertes par les hérétiques auxquels se joignirent bientôt les Italiens, et essuyèrent même traitement que dans les habitations particulières. [...]
Les couvents de religieuses ne furent pas plus épargnés que les églises. Ces audacieux contempteurs des objets respectés par les fidèles entrèrent comme des loups enragés dans une bergerie, et transformèrent ces retraites sacrées en un lieu de débauches, où ils assouvissaient par les obscénités les plus révoltes leur atroce brutalité. Ils mettaient le feu partout où les habitants faisaient mine de se défendre. [...]Lorsqu’ils eurent un peu apaisé leur soif de sang, ils portèrent leur attention sur les immenses richesses des lieux saints. Les luthériens, qui composaient en grande partie cette armée, pouvaient ne se croire tenus à aucune espèce de ménagements. À peine avaient-ils mis le pied dans une église, qu’ils portaient leurs mains ensanglantées sur les calices, images, croix ou vases précieux qui frappaient leurs regards. S’ils trouvaient des reliques, ils les jetaient par terre d’un air de dédain. [...] Ils détachaient des murs les images des Saints qui les ornaient, pour les salir, les déchirer ou les brûler. Ils barbouillaient les peintures à fresques. Quelques-uns d’entre eux allèrent dans les sacristies se revêtir des habits sacerdotaux, et, montant sur l’autel, ils officiaient par dérision comme des ministres de la religion ; seulement au lieu de prières, ils proféraient d’horribles blasphèmes.
Jacopo Buonaparte (prêtre du XVIe et conseiller du pape), Sac de Rome au temps du pape Clément VII de Médicis, en 1527, par un gentilhomme de San Miniato, Florence, Imprimerie granducale, 1830. Traduction de l’italien par Napoléon-Louis Bonaparte.
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