Doc. : 2005, le rôle positif de la colonisation

mercredi 24 août 2016
par  Julien Daget

Loi sur le rôle positif de la colonisation
deux pages ; CC BY-NC-SA
par Julien Daget.

Consigne : en faisant l’analyse des trois documents, vous montrerez que les mémoires de la colonisation et de la décolonisation sont des enjeux politisés.
Méthode : l’étude critique


Article 1. La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.
Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage.

Article 2. La Nation associe les rapatriés d’Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres et d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian, ainsi que les victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc, à l’hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord.

Article 3. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie est créée, avec le concours de l’État.
Les conditions de la création de cette fondation sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 4. Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée.

Article 5. Sont interdites :
 toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés ;
 toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Évian.
L’État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur. [...]

Loi n° 2005-158 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, 23 février 2005. Source : www.legifrance.gouv.fr


Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle

La loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » a des implications sur l’exercice de notre métier et engage les aspects pédagogiques, scientifiques et civiques de notre discipline.
Son article 4 dispose : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ... »

Il faut abroger d’urgence cette loi,
 parce qu’elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité,
 parce que, en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé,
 parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.

Les historiens ont une responsabilité particulière pour promouvoir des recherches et un enseignement
 qui confèrent à la colonisation et à l’immigration, à la pluralité qui en résulte, toute leur place,
 qui, par un travail en commun, par une confrontation entre les historiens des sociétés impliquées rendent compte de la complexité de ces phénomènes,
 qui, enfin, s’assignent pour tâche l’explication des processus tendant vers un monde à la fois de plus en plus unifié et divisé.

Claude Liauzu (professeur à Paris-VII), « Appel à pétition », Le Monde, 25 mars 2005.


La loi du 23 février 2005 suscite un débat sur notre mémoire. Un débat sur l’histoire de la France outre-mer.

La France est une grande nation. Son passé est glorieux. Elle porte des valeurs universelles qui rayonnent à travers le monde, des valeurs de liberté, de justice, de droit. Elle est marquée par la diversité des hommes et des horizons qui font sa force et aussi sa richesse. Cette histoire, c’est notre patrimoine, c’est notre identité, c’est notre avenir et nous devons en être fiers.
Comme toutes les nations, la France a connu la grandeur, elle a connu les épreuves, elle a connu des moments de lumière et des moments plus sombres. C’est un héritage que nous devons assumer tout entier. C’est un héritage que nous devons assumer dans le respect des mémoires de chacun, des mémoires parfois blessées et qui constituent chez beaucoup de nos compatriotes une part de leur identité.
L’histoire, c’est la clé de la cohésion d’une nation. Mais il suffit de peu de choses pour que l’histoire devienne un ferment de division, que les passions s’exacerbent, que les blessures du passé se rouvrent. Dans la République, il n’y a pas d’histoire officielle. Ce n’est pas à la loi d’écrire l’Histoire. L’écriture de l’histoire c’est l’affaire des historiens.

C’est pourquoi, face aux débats suscités par l’article 4 de la loi du 23 février 2005, j’ai proposé au Président de l’Assemblée nationale, Monsieur Jean-Louis Debré, qui l’a accepté, de constituer une mission pluraliste pour évaluer l’action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l’histoire. Cette mission devra écouter toutes les sensibilités, elle devra s’entourer d’historiens. Le Président de l’Assemblée nationale m’a précisé que les conclusions de cette mission pourraient être rendues dans un délai de trois mois et je serai très attentif aux recommandations qu’elle fera.
Je demande aussi au Gouvernement que la Fondation sur la mémoire prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005 soit créée dans les meilleurs délais et qu’elle soit dotée des moyens nécessaires à son bon fonctionnement.

Il faut maintenant que les esprits s’apaisent. Il faut que vienne le temps d’une réflexion sereine, dans le respect des prérogatives du Parlement, dans la fidélité à nos idéaux de justice, de tolérance et de respect, dans un esprit d’unité et de rassemblement.

Jacques Chirac, Déclaration à propos de la loi du 23 février 2005, Palais de l’Élysée, 9 décembre 2005. Source : www.elysee.fr

→ Décret n° 2006-160 du 15 février 2006 portant abrogation du deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Source : www.legifrance.gouv.fr